Les maîtres de la Renaissance italienne analysés par André MALRAUX.

“Nul chef d’œuvre n’a été créé à l’imitation d’un style antique ; pas plus par Nanni di Banco ou par Donatello que par Giovanni Pisano, Giotto, Botticelli ou Michel-Ange…”

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André MALRAUX (1901.1976)

Manuscrit autographe – Le début du siècle.

Trois pages in-4°avec découpes et montages.

Quelques lignes dactylographiées et corrigées.

Slnd.

 

Remarquable manuscrit de travail relatif à la Renaissance italienne. Malraux met en perspective les créations de Giotto, Michel-Ange, Raphaël, Donatello, Botticelli, Masaccio, etc. en analysant leurs influences et ruptures quant à la foi chrétienne.

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« A Florence, dès 1400, la civilisation chrétienne, jusqu’alors civilisation de l’âme, a commencé sa métamorphose en civilisation de l’esprit. Dans l’art, cette métamorphose n’implique aucune rupture avec la foi : le Tribut de Masaccio [Le paiement du tribut, fresque de Masaccio] donnera à la grandeur humaine une expression sans précédent, mais ce sera pour peindre le Christ.

Et elle n’implique pas toujours l’abandon de l’expression de sentiments : Donatello n’est pas moins pathétique que Sluter. Depuis le romantisme, gothique et pathétique sont confusément liés ; mais l’Italie du trecento avait fait à l’expression du drame chrétien une assez faible place. Le sentiment qui orientait le vaste domaine de forme qui faisait de Giotto le père de la peinture, l’inventeur du latin d’Église substitué au grec byzantin, n’était pas la douleur, mais l’amour. A sa communion, le gothique international avait substitué le merveilleux sentimental de son Adoration des Mages, et le format de la tendresse religieuse. Cette émotion était l’une des sacrées de l’art, depuis l’innocence romane ; le gothique lui était lié, l’art de la piété privée en était inséparable, et il suffit à nous contraindre à appeler gothiques toutes les vierges flamandes, quelles que soient, dans l’ordre de la représentation, les découvertes des peintres flamands.

A Florence même, l’un de ses plus grands interprètes l’Angelico [Fra Angelico], le transmettra à Lippi, puis à Botticelli, et nous le retrouverons chez Raphaël. Mais en face de l’Angelico, de Masolino et de Ghiberti, [Masolino da Panicale et Lorenzo Ghiberti] paraissent cinq maîtres de premier rang : Donatello, Masaccio, Uccello, Andrea del Cartagno, Pierro della Francesca – dont l’œuvre n’est pas essentiellement l’expression d’une communion par l’amour, qui négligent le merveilleux sentimental, et pour lesquels la tendresse religieuse n’existe pas.

Vingt ans avant Masaccio, la première rupture apparaît, beaucoup plus clairement que dans le complexe génie de Donatello, dans l’œuvre du rival de son adolescence, son initiateur peut-être, Nanni di Banco. Devant l’Isaïe de celui-ci, nous pensons, plus qu’aux lignes de Ghiberti dont on le rapproche d’ordinaire, et dont il est radicalement séparé par l’esprit, aux créations les moins gothiques de Giovanni Pisano à sesProphètes. Mais Nanni s’oppose à une sculpture pisane redevenue de plus en plus gothique. Et Giovanni Pisano avait voulu, comme le voulait encore Sluter, que son Isaïe fut réellement un prophète ; celui de Nanni di Banco n’est plus un prophète mais un personnage sans précédent : un héros chrétien.

Héritier des saints militaires ? Sans doute. Bien éloigné pourtant du Saint Théodore de Chartres. Car s’il n’exprime pas encore pleinement l’orgueil de l’homme, il n’exprime plus l’humilité du saint – qu’exprime encore confusément le saint Georges adolescent de Donatello. A travers le prophète, le saint militaire va se transformer en héros religieux. Lui seul, car aucun gisant de chevalier ne s’est dressé pour devenir statue. Donatello donne à son premier David, celui du Bargello, plus d’assurance qu’à son saint Georges, mais c’est sous le nom de David, le seul héros biblique, que la postérité de l’Isaïe de Nanni emplira la Toscane, jusqu’à ce que Michel Ange, oubliant le petit Georges au bénéfice du héros, en fasse une statue colossale. […]

La promotion de l’antique, l’accroissement du prestige de celui-ci pendant tout le quattrocento, posent qqs questions assez pressantes depuis qui ont disparu les trois préjugés grâce auxquels cette promotion semblait naguère inévitable, et selon lesquels l’évolution de l’art italien aurait été gouverné par la libération de la maladresse médiévale […]

Nous savons aujourd’hui que nul chef d’œuvre n’a été créé à l’imitation d’un style antique ; pas plus par Nanni di Banco ou par Donatello que par Giovanni Pisano, Giotto, Botticelli ou Michel-Ange… »

 

 

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