Eugène SUE se défend des accusations portées contre son "Juif Errant".

« Je sais combien mes livres prêtent à des accusations sous le rapport du style, de l’art, de la conception, j’admets parfaitement que l’on attaque les idées sociales que j’émets, mais ce qu’il me serait pénible de voir attaquer, par un homme de votre franchise et de votre caractère, monsieur, ce serait la sincérité de mes convictions. »

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Eugène SUE (1804.1857)

Lettre autographe signée au critique Alfred Nettement.  

Deux pages in-12° très denses.

Trace d’adhésif au verso.

Sans lieu ni date [8 novembre 1844]

 

« Je sais combien mes livres prêtent à des accusations sous le rapport du style, de l’art, de la conception, j’admets parfaitement que l’on attaque les idées sociales que j’émets, mais ce qu’il me serait pénible de voir attaquer, par un homme de votre franchise et de votre caractère, monsieur, ce serait la sincérité de mes convictions. »

Très belle lettre du romancier à propos du Juif Errant. Eugène Sue s’insurge auprès de Nettement contre le bruit invraisemblable selon lequel il aurait proposé son roman à la Gazette de France, journal royaliste dirigé par l’abbé Genoude.

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« Malgré la vivacité, la sévérité de votre critique, j’y ai toujours vu un caractère de loyauté généreuse, permettez-moi donc d’espérer que vous reconnaîtrez l’invraisemblance, l’impossibilité du fait que vous signalez, il est vrai comme un bruit, à savoir : que j’avais d’abord proposé le Juif errant à la gazette de France. Je connais et j’estime trop la rigidité des principes politiques et religieux de monsieur de Genoude pour avoir songé à lui demander l’insertion d’une œuvre complètement opposée à ses doctrines – mais, par cela même, monsieur, je rends un juste hommage aux convictions de monsieur de Genoude, je suis, je le crois, en droit d’attendre que les miennes (bonnes ou mauvaises, je les abandonne absolument à la critique) soient aussi regardées comme sincères, ce qui à mon grand regret ne serait pas, si ainsi que vous semblez le dire, monsieur, vous me croyiez capable d’avoir successivement modifié l’esprit de mon œuvre, en la soumettant à toutes les nuances politiques et religieuses qui séparent la Gazette du Constitutionnel, en passant par la Quotidienne, etc. Encore une fois, monsieur, personne n’est plus que moi pénétré des devoirs de la critique – personne plus que moi ne la veut large et indépendante – je sais combien mes livres prêtent à des accusations sous le rapport du style, de l’art, de la conception, j’admets parfaitement que l’on attaque les idées sociales que j’émets, mais ce qu’il me serait pénible de voir attaquer, par un homme de votre franchise et de votre caractère, monsieur, ce serait la sincérité de mes convictions – peut-être du reste, monsieur, ai-je mal interprété vos paroles, en ce cas, excusez l’importunité de cette lettre – un mot encore : ne voyez dans ceci, je vous en prie, aucune idée de réclamation publique, cette lettre est absolument confidentielle, c’est à vous seul que je l’adresse, monsieur, puisque j’ai une profonde estime pour votre caractère. Agréez, monsieur, l’assurance de mes sentiments les plus distingués. ».

 

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Eugène Sue réagit à l’article d’Alfred Nettement paru dans La Gazette de France du 8 novembre 1844. Dans cet article, le premier d’une série de dix consacrés au Juif errant, Nettement écrivait : « Il faut que je vous raconte cette historiette que les amis de M. Sue commencent à faire circuler dans les salons, pour excuser l’esprit de son livre. À les entendre, l’auteur aurait d’abord proposé son sujet à La Gazette de France, en promettant, bien entendu, de donner à son roman une couleur sociale, morale, religieuse. Sur le refus de la Gazette, qui n’aurait pas compris le prix inestimable du présent que M. Sue voulait lui faire, il se serait adressé à la Quotidienne, qui n’aurait pas été mieux inspirée. Alors, il aurait fait des offres aux Débats, il n’aurait pas été plus heureux, soi-disant parce que les Débats craignaient les fâcheuses plaisanteries que ce nom de Juif pouvait inspirer à la mauvaise presse, et les comparaisons incongrues qui, grâce à M. de Cormenin, s’établiraient entre le malheureux intendant de la liste civile et le Juif, type de l’avarice et de la passion de l’or. Ce n’est donc qu’en désespoir de cause et faute d’avoir trouvé ailleurs des hommes d’assez bon goût pour offrir cent mille francs du Juif errant, que M. Sue s’est résigné, par pis-aller, à demander au Constitutionnel un asile pour son éternel voyageur. Qu’y faire ? M. Véron est le seul qui ait eu l’esprit de mettre le prix à ce trésor, il a donc bien fallu écrire le Juif errant dans les idées du Constitutionnel, et en faire un partisan déclaré de M. Thiers et de M. Cousin. Voilà l’historiette, je vous la livre pour ce qu’elle vaut. » Nettement précisait en note : « Est-il nécessaire de dire que nous n’ajoutons aucune foi à ce petit conte que nous attribuons à l’imagination officieuse des personnes qui ont voulu atténuer les torts de l’auteur du Juif errant. »

 

Bibliographie :

Alfred Nettement. Edmond Biré. Lecoffre, 1901. Pages 319-321.

Correspondance générale d’Eugène Sue. Tome II. J.P. Galvan. Ed. H. Champion.

 

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