Serge GAINSBOURG (1928.1991)

Manuscrit autographe – « L’homme à tête de chou ».

Une page in-4° (28 x 22 cm) à l’encre noire. Slnd [1976].

Exceptionnel manuscrit en premier jet, témoin du travail de création du poète, et représentant les deux tiers de la chanson.

Nombreuses corrections, variantes, et ratures laissant apparaître les premières ébauches de cette chanson culte et plusieurs variantes quant au texte final.

Provenance : Andrew Birkin.

 

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Je suis l’homme à tête de chou

un quart légume et trois quart mec

Pour les beaux yeux de Marilou

 

Je suis allé porter au clou ma Remington et puis mon break

Et ainsi j’étais à fond de cale à bout de nerfs

Depuis que je suis avec elle j’ai perdu à peu près tout

Mon job à la feuille de chou et mes cheveux sur le caillou

 

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Témoignage de l’œuvre créatrice et poétique de Gainsbourg, ici directement influencé par la sculpture de Claude Lalanne, qu’il acquit dans une galerie de la rue de Lille à Paris.

Feuillet numéroté 1) en coin supérieur ; le deuxième feuillet (devant contenir les derniers vers de la chanson) est absent des archives de Serge Gainsbourg et n’a jamais été retrouvé.

Qui n’a pas en tête ces deux octosyllabes qui ouvrent l’album mythique écrit et composé par Serge Gainsbourg en 1976 ? L’extraordinaire manuscrit autographe que nous présentons ici est le  premier brouillon de la première piste de cet opus magnifique, ayant eu peu d’écho à sa sortie et aujourd’hui considéré comme culte. Ratures et variantes, rejets, ajouts, et vers par la suite écartés nous plongent dans la genèse du premier et éponyme poème de L’Homme à tête de chou.

Cette page permet de suivre mot à mot et trait à trait l’élaboration d’une des chansons majeure de l’artiste français. La vigueur de l’écriture, les annotations et les renvois témoignent de la spontanéité de l’écriture. On y voit les vers littéralement jetés sur le papier, et repris ensuite ; la musique de chaque mot essayée, modifiée si nécessaire, et l’ordre des vers revu pour ménager la chute idéale et la transition vers le poème suivant.

Dans cet album, l’instrumentalisation ne cesse de varier. La musique de toute beauté, symphonique par moment, aux accents reggae à d’autres, rythme la narration, énoncée plutôt que réellement chantée, suivant la technique du « talk over » développée par Gainsbourg. Dans un jeu d’écho mutuel, textes aux traits érotiques et musiques se répondent et se confondent, chacun donnant à l’autre son sens.

La comparaison du texte final à ce manuscrit de premier jet permet de découvrir quelles furent les hésitations du poète. A titre d’exemple, voyons au vers 2 Gainsbourg hésiter entre un quart de chou et moitié chou ; à la fin du texte entre sable et plage. D’autres ratures traduisent la recherche stylistique et le perfectionnement de la forme et du ton. Ainsi: « Du jour où je me mis avec » est préféré à « Dès que je me suis mis » et à « Depuis que je suis avec ». Surtout, nous comprenons que Gainsbourg à déjà en tête la conception globale de l’album. Il est frappant de le voir renoncer, ou plus exactement retarder le recours à un champ lexical érotique, pour donner un ton décidément tragique à ce poème introductif.

Chacun prendra plaisir à déceler ces changements, ces imperceptibles variations du poète perfectionniste sans cesse en quête d’absolu esthétique. Certaines modifications sont éloquentes, d’autres surprennent. Pourquoi supprimer par exemple le vers « Et mes cheveux sur le caillou » ? Pour préserver sans doute l’équilibre de ce qui naît sous sa plume: un chef d’œuvre absolu.

Le texte que nous avons sous les yeux est en réalité l’incipit d’une folle histoire – Concept Album – inventée par Gainsbourg. La cavalcadante histoire d’un journaliste à scandale devenu fou, d’amour tout d’abord pour Marilou, shampouineuse à la beauté païenne et aux mains savonneuses ; de rage ensuite découvrant l’adultère entre deux macaques du genre festival à Woodstock ;  de désespoir enfin, de lui avoir fendu le crâne à coups d’extincteur d’incendie : de son crâne fendu s’échappe un sang vermeil identique au rouge sanglant de l’appareil. Elle a sur le lino un dernier soubresaut, une ultime secousse. J’appuie sur la manette, le corps de Marilou disparaît sous la mousse.

Gainsbourg raconta lui-même comment l’idée de cette histoire vint en son esprit. Pudiquement, élégamment, il attribue à une sculpture de sa collection le mérite de sa si fertile imagination :

« J’ai croisé l’Homme à tête de chou à la vitrine d’une galerie d’art contemporain. Quinze fois je suis revenu sur mes pas puis sous hypnose j’ai poussé la porte, payé cash et je l’ai fait livré à mon domicile. Au début il m’a fait la gueule ensuite il s’est dégelé et m’a raconté son histoire. Journaliste à scandales tombé amoureux d’une shampouineuse assez chou pour le tromper avec des rockers, il la tue à coups d’extincteur, sombre peu à peu dans la folie et la tête devient chou. »

L’histoire est authentique : Serge Gainsbourg arpente comme à son habitude les trottoirs du quartier latin, lorsqu’un un jour il tombe nez à nez, au numéro 17 de la rue de Lille, avec L’Homme à Tête de Chou. C’est auprès de Paul Facchetti, brillant photographe converti en galeriste que Gainsbourg acquiert cette œuvre signée Claude Lalanne. Sensible à la poésie de ses êtres hybrides, Gainsbourg s’éprit du grand homme assis, qui semble, comme lui, tenir éternellement une gitane à la main. La sculpture est livrée au 5 bis rue de Verneuil.

Si le grand bronze de Claude Lalanne l’a sans nul doute inspiré, Gainsbourg ne doit qu’à lui cette œuvre virtuose. Et s’il a tant confié que l’Homme à Tête de chou lui avait soufflé les mots que nous lisons sur ce feuillet, c’est sans doute qu’en cette grande figure de bronze il croyait voir son ombre.

 

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