Robert BRASILLACH – Sénèque le tragique.

Manuscrit autographe signé – Sénèque le tragique.

Très beau manuscrit de Brasillach témoignant de son admiration pour Sénèque et sa conscience de la nature. Ce manuscrit fut publié par la Nouvelle Revue Française en 1931.

« Je m’étonnerais beaucoup si le temps véritable pour ce poète n’était pas arrivé. »

Vendu

Robert BRASILLACH (1909.1945)

Manuscrit autographe signé – Sénèque le tragique.

Quinze pages grand in-4° à l’encre violette. Slnd (1931)

« Je m’étonnerais beaucoup si le temps véritable pour ce poète n’était pas arrivé. »

Très beau manuscrit de Brasillach témoignant de son admiration pour Sénèque et sa conscience de la nature. Ce manuscrit fut publié par la Nouvelle Revue Française en 1931.

« Sénèque le Tragique. Les grandes époques tragiques de l’histoire littéraire, la Grèce de Périclès, le XVIe siècle anglais, le XVIIe siècle français, ont poussé à leur perfection ce gout des catastrophes considérables et des morts illustres parce qu’elles étaient des époques. Parce qu’autour d’Eschyle, Sophocle et Euripide, autour de Shakespeare, autour de Corneille et Racine, une foule conservait le climat tragique et le préparait : ainsi Marlowe,  …., Beaumont et Fletcher autour de Shakespeare, Robert Garnier, …, et l’insipide Voltaire lui-même autour de Corneille et de Racine. Beaucoup plus rares ont été ceux qui, privés de l’appui de cette continuité tragique, ont essayé de retrouver ou ont trouvé tout préparé en eux le climat perdu : comme Shelley, Kets, ou Claudel. Au moment où la foule s’était détournée depuis longtemps d’un spectacle où la vérité méprise tout de l’apparence, et se ruait au cirque comme celle d’aujourd’hui au cinéma, un homme essaye de réussir ce qui n’était point naturellement en lui et y parvint quelque fois. Une conjuration de la banalité a fait préférer à Sénèque le tragique les plats écrits, petites lettres en traités de vulgarisation, que produisait en abondance Sénèque le philosophe. Les deux Sénèque, aux dernières nouvelles ne seraient qu’un seul Sénèque… ayant gâché assez souvent les poèmes frénétiques et noirs du Tragique pour que je croie à leur identité. Je me contenterai de le déplorer et de déplorer par surcroit que l’inconcevable succès d’œuvres médiocres et faciles au plus haut degré ait détourné les lecteurs du plus grand Sénèque. Sur le penchant latin du développement moral, il s’était laissé glisser, puisque par ailleurs cela avait du succès, cachait de personnelles petites malhonnêtetés, et que (…) il pensait que c’était ainsi que pense un philosophe. L’autre versant est un versant plus personnel et moins foulé. Il rejoint le premier dans le gout des grandes âmes, de l’honneur du baroque, et de la direction des consciences, touts choses qui peuvent aussi bien donner la vie à des héros de tragédie que produire des remarques générales …. On ne peut pas dire que l’homme qui a pris la peine d’écrire avec un soin aussi minutieux neuf tragédies au moins (toute la carrière de Racine est supportée par onze tragédies) les ait écrites par hasard. (…) Il fallait que ce fut par quelque besoin où il était de se livrer autrement que dans des livres d’abstractions. Comme cet effort eut lieu à une époque où on ne jouait plus de tragédies, certains veulent que ces poèmes farouches confiés à plusieurs personnages n’aient été que des poèmes dont le détail importait plus que l’ensemble et qu’on lisait en lecture publique. La forme des tragédies de Claudel est sans doute ornée et chargée comme celles des tragédies de Sénèque parce que c’est au livre et non à la scène qu’elles sont la plupart du temps confiées. Il est probable que si Sénèque avait été un véritable homme de théâtre, il n’aurait pas perdu son temps à moraliser Lucilius et le drame (qui est l’armature de la tragédie sans être la tragédie elle-même) lui aurait apparu avec une nudité et une puissance active plus grandes. Par la volonté appliquée qu’il eut d’exalter son annonce des actes et des êtres immodérés, par le choix qu’il fit de fables outrancières qui lui arrivaient déjà bourrées d’émotion par les tragiques grecs et prêtes à exploser, par la juste proportion qu’il conserva toujours entre ses héros forcenés et leur langage de plusieurs degrés plus forcené, il se trouva avoir saisi au vol, plusieurs fois, l’esprit tragique et en être ainsi le seul représentant de valeur entre Euripide et le XVIe siècle.

Pour rejoindre au plus près les Grecs, il leur emprunte leurs sujets et leurs fables. Il écrit Œdipe après Sophocle, Médée ou Phèdre après Euripide, Agamemnon après Eschyle, Thyeste est pris au fonds commun des légendes et comme Sénèque n’a pas de modèle à imiter ou à corriger, il en fait une suite de monologues exaspérés se terminant par une épouvantable face à face. Les pièces les plus réussies sont celles où un modèle adroit l’a éloigné des erreurs du monologue abusif et dont le sujet est le plus atroce : aussi dépasse-t-il Euripide dans cette démente et splendide Médée. Il échoue sur Œdipeparce qu’il manquait de métier théâtral et de foi religieuse. Il a certainement cru faire son chef-d’œuvre de Thyeste où son goût de l’horrible s’est pleinement satisfait et qui n’est pas une bonne pièce. La différence essentielle avec les Grecs est que cet éloignement de l’apparence qui est la condition de la tragédie, les Grecs le cherchaient dans un épurement, souvent une sérénité. Sénèque ne le cherche que dans un paroxysme. Dès qu’un personnage entre en scène, il crie. Les premiers mots de Médée sont pour invoquer les plus noires puissances de l’ombre et elle se maintient dans les épuisantes régions du hurlement continu et de la folie. Andromaque elle-même (…) s’emporte et maudit Hélène avec une dureté et une emphase magnifiques ? Nous comprenons que Corneille ait aimé chez ces personnages le gout violent de l’absolu. Aucun ne vit dans le relatif, aucun de ceux du moins auxquels Sénèque porte amitié. Ils sont de la race qui va jusqu’au bout, cuirassés et tendus par le plus terrible des individualismes. (…) Ce romantisme meurtrier, que le seul bien est en soi et qu’il faut le prouver même par les crimes les plus bizarres, ne trouvera pas de plus intégral interprète jusqu’à certaines apocalypses ….  Il réclame pour contrepoids l’esclavage le plus complet des êtres qu’on aime ou qu’on hait. Il faut l’obéissance à l’amour de Médée ou de Phèdre sinon les catastrophes les plus affreuses seront la juste conséquence, la juste punition infligée à ceux qui n’ont pas obéi. Mais tout personnage de Sénèque (p6) est pareil au Dieu qui punit jusqu’à la troisième et à la quatrième génération. Aucun ne veut mourir seul. (…) personne n’a mieux que Sénèque compris la dictature de la passion. Nous étonnerons nous encore qu’il ait eu Néron pour élève ? (…) à leur propre royauté, ils se jettent alors avec furie à l’autre extrémité et réclament avec une humilité voluptueuse et bruyante la servitude. Avec quelle douceur, quelle langueur charnelle, Phèdre refuse le nom de mère : « Le nom de mère est trop superbe et trop puissant, c’est un plus humble nom qui convient à nos sentiments » (…) Les personnages de Sénèque sont intelligents. Les personnages de la tragédie, contrairement à ceux du drame, sont presque toujours intelligents. Ils savent ce qu’ils sont et l’analysent avec une indicible joie, le joie de la conscience claire. Par cette intelligence, Sénèque est plus près de nous que Sophocle car tous les sentiments que nous croyons avoir inventés, il les connaissait peut être. Le gout maladif de la pitié, presque sadique, ce ne sont pas les romans russe qui ont mis à la mode pour la première fois. (…) A la nourrice qui lui dit qu’Hercule n’aimera plus Iole maintenant qu’elle est esclave, Déjanire répond en vers admirables : « L’amour d’Hercule n’est que plus enflammé par ses malheurs, il l’aime précisément parce qu’elle est privée de sa demeure (…) C’est ce qui, au moment où les héros de Sénèque allaient décidément devenir des caricatures de Pierre Corneille ou de Hugo, fait pencher la balance vers la vie. Au milieu des excès d’une passion poussé aux dernières limites et acculée à la démence, une survivance d’esprit classique leur rend l’essentielle lucidité. Phèdre, dans la pièce assez médiocre qui porte son nom, n’a rien de l’enivrante, de la dangereuse beauté de l’héroïne racinienne.

 C’est une proie trop facile dont ne voudrait pas un psychologue freudien. Mais une très originale et très forte scène, sauve le drame : c’est celle où l’intelligente Phèdre surmonte son désir déchainé et use de tous ses moyens pour faire céder Hyppolyte. La scène de la déclaration est si belle d’intelligence et de sensualité mêlées que racine l’a reprise trait pour trait. Pourtant si ces hommes et ces femmes éternellement à la poursuite d’un idéal effréné peuvent séduire les esprits modernes, ce n’est là qu’un des moindres mérites du théâtre de Sénèque. (…) L’essentiel est que Sénèque le tragique était un très grand poète et que, comme les plus grands, comme Eschyle, Shakespeare ou Baudelaire, il était joint au monde par des liens mystérieux et savait que les principaux inspirateurs d’un poème sont les esprits de la terre. Cette vérité poétique se retrouve dans toute grande tragédie, les Grecs et Racine ont penché plus spécialement vers les dieux et la fatalité, Shakespeare vers les démons de l’univers sensible. Cette toile de fond que nous appellerons la religion, est ce qui différencie essentiellement la tragédie du drame, avec l’éloignement des personnages. Elle se trouve chez Claudel. Elle manque parfois à Corneille. Sénèque ne croyait pas aux dieux. Je ne sais pas de pièces, sauf Macbeth, où la présence de la nature soit plus visible que dans les siennes. Les longs monologues qui ouvrent chacune de ces tragédies la situent d’abord dans un univers où il fait chaud ou froid, om les étoiles brillent, où le ciel se cache sous les noires fumées, où le fleuve court, où les prairies tremblent sous le vent. (…) Macbeth ne peut conserver son atmosphère surnaturelle que parce que sans cesse on parle d’arbres qui marchent, de chouettes qui hululent, d’oiseaux nocturnes qui s’éveillent et que toutes les bêtes de la nuit, toutes les puissances funestes de la terre entourent le drame et y collaborent. (…) Les Troyennes sont une admirable pièce dominée toute entière par les hautes flammes de Troie et le bruit des vaisseaux qui appareillent. Et ce ne sont pas là des métaphores faciles de critique littéraire. (…) Et dans cette œuvre poétique, Sénèque est servi par une très belle langue. Les caractères essentiels du génie latin dans la construction de ces phrases ne s’y retrouvent presque pas ce sont des accumulations, des juxtapositions plutôt qu’un enchainement. Mais cette syntaxe simplifiée ne sert qu’à mettre en valeur le mot qui devient le maître de la phrase. Non pas tant le mot rare que le mot simple mais frappant, le mot-choc. Je plaindrais ceux qui ne sauraient pas découvrir dans les termes affreux, dont ce style barbare est gorgé, dans les fausses pierreries, lors rouge, et toutes les enluminures dont ce sauvage se bariole avec emphase, une force vivante et poétique extraordinaire. (….) mais cette foi en les esprits de la terre, qui se donne à la « religion » de Sénèque  sa force poétique la plus troublante, la plus vénéneuse, s’allie encore à un gout de la mort et du néant qu’est une chose admirable. Les Grecs mettaient derrière tous leurs drames l’ombre d’une fatalité à laquelle Sénèque ne croit plus.

Il consent à ce que les forces inconscientes rôdent autour des tragédies humaines, mais il ne veut pas qu’un Dieu ou que des Dieux personnels prennent parti et jugent. Pourtant la tragédie n’allant point sans religion, il met à la place des dieux, la mort. Il accuse le désespoir du drame, désormais sans issue : il ferme toutes les portes de la cage où s’agitent ses terribles prisonniers et leur refuse l’évasion d’une autre vie. (…) Et cette facile philosophie du néant, facile lorsqu’elle se fait prendre pour une philosophie originale et prête aux développements, est un moyen dramatique d’émotion extraordinaire. De même le monologue fameux de Hamlet n’est qu’une suite  de lieux communs mais prend toute sa valeur lorsqu’il est replacé dans le drame et l’atmosphère, parce qu’il replacé dans le drame et  l’atmosphère, parce qu’il est la plainte sincère et terrifiée d’un homme qui a peur d’après. Les héros de Sénèque   n’ont pas peur de ce qui se passe après la mort. Ils s’y jettent sans crainte, l’invoquent comme libératrice, comme le port enfin trouvé. L’un d’eux quelque part , méprise celui qui ne sait pas mourir. Mais ce n’est pas seulement le mépris d’une lâcheté, c’est le mépris, la pitié presque, qu’on a pour celui qui ignore le plus grand des biens, qui n’aime pas la mort. Et ces deux éléments sacrés, la nature et la mort se fondent dans un enthousiasme religieux pour tout ce qui n’est pas la religion. Ainsi Lucrèce célébrait des sacrifices en l’honneur de la raison humaine. Une doctrine purement romantique, l’exaltation de l’individu et l’exaltation des forces inconscientes de la nature, vient remplacer la religion. De là sans doute une foi parfois primaire en la raison et le progrès, mais aussi, surtout, joint à l’orgueil surhumain de ces héros drapés dans leurs grands crimes, une puissance surnaturelle qui se passe des dieux à l’homme. Tandis que, dans les religions, le pouvoir surnaturel et magique suivra de la nature à l’homme passe nécessairement par les dieux et est capté sans retour par eux au passage, dans la mystique de Sénèque  , le pouvoir magique s’écoule tout naturellement et sans intermédiaire de la nature à l’homme qui remplace les dieux. De là ces incantation qui ne sont que la traduction en langage cérémonieux des relations bien connues qui existent entre le monde et nous. De là ces allures prophétiques, ce sens divinatoire que l’homme a repris aux dieux. Les personnages ceux du chœur, affirment à chaque instant par un ton mystérieux les confidences que l’univers leur a faites. «  et viendront dans les ans futurs, les temps où l’océan déliera ses liens, où une immense terre l’étendra, où la reine des mers alors découvrira la Nouveau monde, et ce ne sera plus l’Islande, la dernière Terre ! » C’est beau, de découvrir l’Amérique en l’an 60 !  Il est curieux de penser que la fortune de ce poète a été aussi extraordinaire que son talent. On sait que la tragédie française, ce drame (…) où le chœur disparaît très vite, est sortie de Sénèque  le Tragique. Que Corneille était tout admiré, de tout son génie rocailleux et espagnol, cela n’a rien d’étonnant. Que Racine y ait aimé l’intelligence et la passion, c’est très vraisemblable. Mais que la technique même de la tragédie française, cette progression adroite et lente, des personnages habiles et presque toujours discrets, soient sortis de ce drame bariolé, haletant et barbare, voilà ce que je ne puis comprendre. La nature qui tient une place immense dans l’œuvre de Sénèque, le gout de la mort, tout cela a disparu du jeu presque purement humain des passion que mettent en scène …., Corneille, Racine, Voltaire. Il a fallu que l’incompréhension des qualités essentielles de Sénèque fut poussées bien loin. Le drame élisabéthain seul dont l’intrigue pourtant est plus complexe et plus véritablement dramatique, pourra vous donner une idée de ce qu’était Sénèque. Je m’étonnerais beaucoup si le temps véritable pour ce poète n’était pas arrivé. Robert Brasillach »

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