Jean COCTEAU annonce le “Dîner de têtes”, son émission d’imitations.

« Mon chef-d’œuvre, vous l’avouerai-je, sera la trompette de Louis Armstrong que j’imite par l’entremise d’une lame Gilett, d’une feuille de papier Job, d’un élastique et d’un verre de lampe »

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Jean COCTEAU (1889.1963)

Manuscrit autographe signé – Dîner de têtes.   

Trois pages ½ in-folio au verso de papiers à en-tête du Normandy Hotel, Paris.

Première page légèrement rognée en tête, sans atteinte au texte.

Sans lieu ni date [Paris, 14-15 novembre 1937].

Annonce du Dîner de têtes diffusé par Radio Luxembourg, parue dans le quotidien Ce Soir sous le titre de : Machines infernales.

« Mon chef-d’œuvre, vous l’avouerai-je, sera la trompette de Louis Armstrong que j’imite par l’entremise d’une lame Gilett, d’une feuille de papier Job, d’un élastique et d’un verre de lampe »

Annonce du Dîner de têtes, l’émission radiophonique d’imitations par Jean Cocteau de personnalités music-hall et du cinéma, diffusée en novembre 1937 sur Radio Luxembourg : manuscrit autographe de premier jet, avec de nombreuses corrections.

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« Je n’ai jamais subi l’éblouissement des machines comme un sauvage et jamais le machinisme américain ne m’a semblé répondre à la grande énigme du travail. Mais rien ne m’intrigue comme la collaboration entre la machine et nous, comme le mélange de l’humain et de l’inhumain au théâtre. J’en donne la preuve dans « Les Chevaliers de la Table Ronde » à l’Œuvre, où le disque joue un si grand rôle, à tel titre que la moindre panne d’électricité peut rendre le deuxième acte incompréhensible et interrompre les rappels qui récompensent chaque soir mes interprètes.

Vous entendrez, bientôt, à « Radio Luxembourg », une sorte de sketch où j’imite les étoiles du music-hall et du film. J’en ai raté plusieurs et réussi d’autres. Ce que je tenais à dire c’est que je ne cherche pas un succès neuf, quelque réussite en marge de mes entreprises, bref une bruyante réclame.

J’aime le travail. J’ai toujours été un ouvrier. J’estime, par exemple, qu’une pièce doit sortir de nos mains comme une table de celle [sic] d’un ébéniste. Si le public ne marche pas c’est que la table boite ou qu’un pied lui manque. Car s’il est permis à un livre, à un poème d’agir à longue portée, de paraître avec toutes les apparences d’un échec, un drame ne saurait attendre et les salles doivent en applaudir les mérites à la minute, coûte que coûte. Il m’arrive de changer des scènes et des fins d’acte plusieurs fois, parce que le résultat répond mal à notre effort. Il est rare que je ne me rende pas compte, peu à peu, de la faute, que je n’arrive pas à dénicher le mécanisme qui freine et qui m’empêche d’hypnotiser la petite foule qui nous écoute et qui nous regarde. Je perdais mon fluide en route et ne parvenais pas à convaincre jusqu’au bout.

Donc vous m’entendrez au poste Radio Luxembourg imiter Mistinguett, Chevalier, Marlène Dietrich, Marianne Oswald, Tino Rossi, etc…… (Mon chef-d’œuvre, vous l’avouerai-je, sera la trompette de Louis Armstrong que j’imite par l’entremise d’une lame Gilett, d’une feuille de papier Job, d’un élastique et d’un verre de lampe.) C’est ce qui me reste de Tom-Tit, de Fregoli etc… qui émerveillèrent mon enfance.

Les vedettes j’imitai leurs tics sans chercher à surprendre leur timbre. Ensuite, aidé du chef de son, sorcier moderne, et du pianiste, nous obtînmes ces timbres en accélérant ou diminuant la vitesse. Il existe là toute une cuisine mystérieuse qui nous eût fait brûler au Moyen-Âge et qui, en 1937, ouvre aux recherches des perspectives profondes.

Ne prenez donc pas ce sketch comme une séance de brio, comme un étalage de savoirs intimes ; prenez-le comme une tentative de poète que la plume, l’encre et le papier fatiguent et qui essaye de s’évader n’importe comment. Mes imitations les plus médiocres sont celles dont je me croyais sûr et pour lesquelles je ne demandais pas d’aide aux machines. Les bonnes (Mistinguett, Tino Rossi, Armstrong, Oswald, Sarah Bernhardt) furent, je le répète, un truc, mais un truc auquel il fallait penser et dont je reste très fier.

Un concours permettra de se rendre compte du degré d’exactitude auprès de l’innombrable auditoire de la T.S.F. Peut-être, après ce concours me cacherai-je l’oreille basse et ne recommencerai-je plus à me mêler de ce qui ne me regarde pas. Il reste à prouver si la tâche du poète n’est point, justement, de se mêler de ce qui ne le regarde pas, de brouiller les cartes, de mettre des bâtons dans les roues, de briser l’habitude et de rafraîchir l’atmosphère. Jean Cocteau. »

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Touche à tout de génie, Cocteau s’est intéressé à la radio pour laquelle il a conçu plusieurs émissions ; la plus connue fut le Dîner de têtes, un sketch d’imitations de dix voix célèbres : Mistinguett, Maurice Chevalier, Marlène Dietrich, Marianne Oswald, Tino Rossi, Sarah Bernhardt et Louis Armstrong, comme il l’annonce ici, mais aussi Max Jacob, Greta Garbo et Marcel Proust. Le sketch a été diffusé sur Radio Luxembourg le 29 novembre 1937 de 21h30 à 22h05.

L’imitation dont l’écrivain s’avoue le plus fier est celle de la trompette de Louis Armstrong, « par l’entremise d’une lame Gilette, d’une feuille de papier Job, d’un élastique et d’un verre de lampe » : elle rappelle le rôle joué par Cocteau dans l’introduction du jazz en France. (Cf. Jacques T. Quentin, Jazz et modernités artistiques au prisme de l’œuvre de Jean Cocteau in « Jazz & Lettres », Genève, Bibliothèque Bodmer, 2017, pp. 77-88.)

Jean Masson, rédacteur en chef de Radio Luxembourg à l’époque, se souvenait que l’un des « trucs » évoqués par Cocteau consista à mêler aux imitations des enregistrements des voix véritables – notamment pour Sarah Bernhardt.

L’annonce de la diffusion prochaine de son émission et d’un concours était destinée au journal communiste Ce Soir auquel Jean Cocteau collabora plusieurs années : elle a paru sous le titre « Machines infernales » en page 2 du quotidien, le 16 novembre 1937.

Le manuscrit présente de nombreuses biffures et corrections que nous n’avons pas, ici, reproduites afin d’en faciliter la lecture.

 

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