Guillaume APOLLINAIRE écrit son amour à Lou. Février 1915.

« Je t’aime de toutes mes forces. Pas de poème aujourd’hui je t’en ai fait des masses ces jours derniers. »

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Guillaume APOLLINAIRE (1980.1918)

Lettre autographe signée à Louise de Coligny-Châtillon, dite Lou.

Deux pages in-4° sur papier à en-tête du Café Tortoni à Nîmes.

Nîmes, 6 février 1915.

 

« Je t’aime de toutes mes forces. Pas de poème aujourd’hui je t’en ai fait des masses ces jours derniers. »

Tendre et amoureuse lettre du poète à Lou, la muse lui ayant inspiré l’un de ses plus beaux recueils de poésie : Poèmes à Lou

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« Daté mes lettres d’hier du 4 par erreur – Aujourd’hui ta lettre du jeudi 4 – donc tu pars, t’écrirai demain dimanche 1ère fois et mercredi 2ème fois – Mais je ne comprends pas bien pourquoi pas tous les jours puisque tu écris bien à Toutou* tous les jours et qu’il t’écrit aussi tous les jours. Puisque tu ne reçois aucune lettre sous ton nom, comprends pas du tout ces bizarres précautions. Je suppose que ça vient de ce que Toutou ne sait pas que je t’écris chaque jour et que tu m’écris de même et que tu crains de le peiner en le lui disant – qu’en retour, tu ne m’écriras pas plus et que je me brosserai à Nîmes.

Donc quand tu recevras donc [sic] cette lettre, tu seras dans la belle capitale de la Lorraine, dans la capitale du roi Stanislas, dont l’histoire me séduit infiniment. Je me suis beaucoup amusé en lisant la vie de son nain Ferry. Tu entends peut-être gronder le canon ! Je t’ai écrit hier de dire mille choses de ma part à Toutou, je te les répète au cas où tu partirais avant d’avoir reçu ma lettre. Embrasse-le sur les deux joues. Dis-lui que je suis son ami et que je suis sûr que notre amitié augmentera encore quand nous nous connaîtrons. Demande-lui s’il n’aurait pas un sitomètre** de trop à m’envoyer par toi. Enfin mon Lou que Dieu te garde et que N. Dame te protège toi, petite femme courageuse et simple très gentiment. Reviens saine et sauve du front, ma chérie. Tu sais combien je t’aime, je vais être anxieux pendant tout ce voyage. Je voudrais bien que tu aies eu à Baratier avant ton départ les lettres que je t’ai écrites, ces jours derniers, c’est fantastique comme les postes sont bizarrement faites.

Enfin fais bonne provision d’impressions intéressantes que tu me raconteras. Je t’envoie une amusante coupure de l’Écho de Paris : un fait divers singulier et rigolo. Je ne t’écris pas très longuement aujourd’hui parce que je suis invité à dîner par mon ami Nicolini et vais m’occuper de ta chambre. Ma sollicitude t’accompagne, tu es mon constant souci et ma suprême consolation.

Je t’aime de toutes mes forces. Pas de poème aujourd’hui je t’en ai fait des masses ces jours derniers. Si pourtant, dis à Toutou ce vers sur l’artillerie, je l’ai pris dans un petit poème envoyé à mon ami André Dupont, l’homme le plus méchant de Paris, et je l’ai inscrit sur mes cahiers d’artillerie “L’artillerie est l’art de mesurer les angles” *** Mille baisers, je t’adore, je te baise sur la bouche, ma toute adorée. Ton Gui pour la vie. »

 

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* Gustave Toutaint surnommé “Toutou”.

** Instrument permettant de mesurer les angles dits de site, soit l’élévation d’une cible dans un plan vertical par rapport à l’observateur.

*** Clin d’œil ironique d’Apollinaire à une lettre écrite le 1er février à son ami Dupont : « L‘artillerie est l’art de mesurer les angles et l’équitation de bien serrer les sangles ». En effet Apollinaire s’initie à Nîmes aux finesses des angles de tir. Sur des notes conservées à la BnF on peut lire que « la hauteur d’éclatement H ne dépend que de l’angle de site et du correcteur ». Et le 21 janvier Apollinaire écrit à Lou qu’il en a « plein le cul de toute leur géométrie algèbre cheval artillerie et le fourbi de reste ».

 

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Guillaume Apollinaire rencontre Louise de Coligny-Châtillon (1881-1963), en septembre 1914 lors de son séjour à Nice où il attend son incorporation militaire. Il en tombe immédiatement amoureux. Le 6 décembre 1914, il part rejoindre le 38e régiment d’artillerie de campagne en caserne à Nîmes. Lou rejoint Apollinaire à Nîmes à la mi-décembre 1914 et tous deux passeront plus d’une semaine à l’Hôtel du Midi, explorant ensemble une sensualité qui alimentera longtemps les rêves du poète confronté aux horreurs de la guerre.

Au dos des lettres qu’Apollinaire envoyait à un rythme quasi quotidien à Lou se trouvent les fameux poèmes qui furent rassemblés plus tard sous le titre de Ombre de mon amour puis de Poèmes à Lou. On trouve ici le témoignage amusant de cette extrême prodigalité poétique : « Pas de poème aujourd’hui je t’en ai fait des masses ces jours derniers. »

On observe enfin qu’en ce deuxième mois de l’année 1915, Apollinaire est toujours dans l’euphorie de ce grand amour mais qu’il doit néanmoins composer avec un rival et amant, Gustave Toutaint surnommé Toutou, alors employé comme agent de liaison dans les Vosges et que Lou s’apprête à rejoindre à Nancy. Lou se dérobera finalement à Guillaume Apollinaire en refusant de se séparer de Gustave Toutaint. La rupture sera définitivement consommée en mars 1915, la veille du départ d’Apollinaire pour le front.

Le poète et Louise de Coligny-Châtillon continueront à entretenir une correspondance régulière pendant l’été suivant, jusqu’aux fiançailles d’Apollinaire avec Madeleine Pagès en août. Les lettres se feront alors plus rares et plus impersonnelles. La dernière est datée du 18 janvier 1916.

 

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