Salvador DALÍ – Dessin original signé – Autoportrait – Camouflage

Dessin original signé – Camouflage – Autoportrait – Garcia Lorca.

Signé cinq fois par Dalí et dédicacé à Bernard J. Geis, éditeur de Esquire Magazine.

Extraordinaire document du maître catalan, réalisant son autoportrait se dédoublant en trois, et évoquant en arrière-plan la silhouette de Federico García Lorca.

Vendu

Salvador DALÍ (1904.1989)

Dessin original signé – Camouflage – Autoportrait – Garcia Lorca.

Encre de Chine sur papier fort.

Signé cinq fois par Dalí et dédicacé à Bernard J. Geis, éditeur de Esquire Magazine.

Pour Bernard Geiz Souvenir afectueux de notre camouflage

Dalí Dalí Dalí 1942

Gala Salvador Dalí Gala Salvador Dalí 1942

Extraordinaire document du maître catalan, d’une stupéfiante modernité, réalisant son autoportrait se dédoublant, et évoquant en arrière-plan la silhouette de Federico García Lorca.

Certificat d’authenticité de MM. Nicolas et Olivier Descharnes. L’œuvre est enregistrée dans les Archives Descharnes sous la référence d1273.

Dimensions 170 x 132 mm.

Annotations manuscrites au verso.

Infimes trous d’épingles en coins. Remarquable état général par ailleurs.

 

“ Do your eyes have it ? 

La réponse paraitra sans doute évidente : le masque à longues moustaches pointant vers le ciel, le visage en mandorle qui se dessine à généreux traits d’encre de Chine… « C’est Dalí bien sûr ! », le prodige espagnol, le roi du surréalisme. C’est exact ; en partie du moins : ce fantastique dessin est en effet un rare autoportrait dessiné par l’excentrique catalan. Pas seulement, nous le verrons …

Ce dessin fut réalisé – et publié – à l’occasion de la parution dans le magazine américain Esquire[i], en août 1942, d’un important article rédigé par Dalí : Total Camouflage for Total War. Au fil de quatre pages illustrées, Dalí conte aux lecteurs, tandis que la deuxième guerre mondiale fait rage, l’importance stratégique du camouflage, de la compréhension des images et leur réalité, l’illusion et la vérité. Au milieu de l’article (page 130)[ii], notre dessin est représenté en tête d’un encart « A portrait of Salvador Dalí » dans lequel Dalí répond à quelques interrogations présentées sous forme d’un questionnaire de Proust.

En décembre 1942, Esquire publiera à nouveau cet autoportrait en tête d’un article de Raymond Gram Swing, Nativity of a New World, relatif à la peinture de Dalí.

Dans ce contexte de création, au centre d’un dossier consacré aux images cachées, comment imaginer qu’un artiste aussi facétieux, aussi imaginatif, aussi inventif se soit contenté sur ce dessin d’une simple silhouette pour se représenter ? Il nous faut ainsi regarder ce dessin avec plus d’attention, nous pencher sur la symbolique cachée, pour répondre à la question suggérée par Dalí  “Do your eyes have it ?”

Pour tenter de comprendre l’image, regardons le texte en regard. En pleine seconde guerre mondiale, Salvador Dalí y lance le défi qui consiste à contrôler psychologiquement la vision de l’ennemi. Contrôler la vision assurerait le triomphe d’un camp sur un autre.

Dans cet article d’août 1942, Dalí nous apprend comment le cubisme a inventé, selon lui, le camouflage. Son récit fait de Picasso l’inventeur officiel du camouflage humain. Il prête à son compatriote les propos suivant : « Si vous voulez rendre une armée invisible, il vous suffit d’habiller les soldats comme des arlequins »[iii]. Et Dalí explique « qu’une image peut être rendue invisible – sans transformation – simplement en l’entourant d’autres images qui font croire au spectateur qu’il regarde autre chose ».  Son propos étant illustré de plusieurs œuvres au sein desquelles la magie de l’illusion triomphe.  C’est tout le secret du peintre expliqué ici, qui a profité d’un « esprit paranoïaque » pour voir ce que les yeux du commun des mortels ne saisissaient pas. « La découverte des images invisibles faisait certainement partie de ma destinée ». Suivant les préceptes d’Aristophane et de Vinci, observateur des camouflages mimétiques et naturels chez les animaux, le peintre se joue de l’illusion, encourageant un usage immodéré du délire systématique de l’interprétation.

Revenons maintenant à notre dessin. C’est avec les yeux surréalistes de Dalí, à la lumière de cet article, qu’il faut reconsidérer cet autoportrait. Il cache à n’en pas douter, un sens autre, une autre image : il est un camouflage. C’est d’ailleurs le sens de la dédicace ! A regarder de plus prêt d’ailleurs, certains détails interpellent, collant trop au texte pour n’être que des coïncidences. Le haché de la silhouette droite dessinant des losanges réguliers n’est pas fortuit : c’est le costume d’Arlequin, le premier des camouflés, celui dont parle justement Picasso. La silhouette à gauche du masque est, elle, tachetée : c’est une fourrure de tigre, celle qui selon les mots de Dalí dans ce même article d’Esquire est un modèle de camouflage et d’illusion.

Pour pousser compléter l’analyse, il nous semble à propos de comparer notre dessin à plusieurs autres œuvres de Dali représentées ci-dessous : L’autoportrait se dédoublant en trois (Fundació Gala-Salvador Dalí, Figueres, cat. P191), l’Autoportrait se séparant en trois Arlequins (Fundació Gala-Salvador Dalí, Figueres, cat. P1015) et Arlequin (Museo de Arte Contemporáneo AS 07488).  

Fort des expériences du cubisme, Dalí assume la multiplication des points de vue, qu’il privilégie à la tridimensionnalité rationnelle, pour laisser un rôle plus grand à l’imaginaire. En utilisant ici des couleurs non mimétiques de la réalité, Dalí met en place un système de pensée qui aboutira dans les années 1940 à ce discours sur le camouflage et la vision paranoïaque.

Federico García Lorca. Ce dessin, d’une première lecture pourtant claire, révèle en vérité plusieurs symboliques, nous l’avons vu : camouflage, illusion, magie, dédoublement, cubisme, nature, … Un dernier visage y est pourtant caché ! Une silhouette, noire, discrètement positionnée en arrière-plan : celle de Federico García Lorca[iv], l’ami espagnol, le frère, le poète mythique fusillé en août 1936 par les Franquistes.

Nous ne reviendrons pas sur l’amitié passionnelle et historique entre Lorca et Dalí, «Un amour érotique et tragique, du fait de ne pouvoir le partager »[v] ; il convient toutefois de s’émerveiller de voir Dalí accompagner sa propre image de l’ombre éternelle et bienveillante de Lorca, son frère d’âme disparu six années plus tôt.

Jusqu’alors ignoré des archives daliniennes et en collection privée depuis sa création en 1942, ce dessin vient désormais, pour toutes les raisons évoquées plus haut, alimenter le mythe du maître de Port Lligat.

Nous reprendrons pour finir les mots de N. Descharnes à la découverte de ce trésor : « Ce dessin est historique ! »

 


[i] Nous joignons les deux magasines Esquire d’août et décembre 1942.

[ii] Pour la publication dans Esquire, le dessin fut recadré et la dédicace de Dalí effacée. On devine en marge droite de notre dessin des annotations au crayon, d’une autre main, traces de cette mise en page.

[iii] C’est le peintre Guirand de Scévola qui semble-t-il eu le premier l’idée de dissimuler des canons en exploitant l’esthétique cubiste. Ses recherches sur le rapport de la forme et de la lumière et leur distorsion mutuelle. Les toiles bariolées aux couleurs de la campagne alentour rendaient les armes imperceptibles. A l’été 1915, l’unité des «trompe-la-mort» était née. Composée de 125 réservistes, ouvriers et peintres en bâtiment elle recruta menuisiers, charpentiers, mécaniciens et autres corps de métier. Heureux de quitter l’enfer des tranchées, un grand nombre d’artistes vinrent en grossir les rangs. André Mare, Fernand Léger, Georges Braque et bien d’autres rejoignirent la section.  Ensemble ils créèrent de faux végétaux, rochers, humains, voies ferrées… et des masques !

[iv] Cf l’œuvre Invitacio a la Son (Fundació Gala-Salvador Dalí, Figueres, cat. P172). Les Archives Descharnes conservent également un dessin similaire, réalisé en 1944, figurant Dalí et Lorca, sous la référence d6344

[v] Lettre de Salvador Dalí, à propos de Lorca, au journal El País en 1986.

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