Les combats de Victor HUGO et Victor SCHOELCHER contre NAPOLÉON III.
« Ne désespérez pas de notre pauvre chère France […] réjouissons-nous donc de souffrir, nous soldats du progrès et serviteurs de l’idée. »
8.000€
« Ne désespérez pas de notre pauvre chère France […] réjouissons-nous donc de souffrir, nous soldats du progrès et serviteurs de l’idée. »
8.000€
Victor HUGO (1802.1885)
Lettre autographe signée à Victor Schoelcher.
Quatre pages in-12° sur papier vert d’eau.
Jersey. 26 septembre [1852].
« Ne désespérez pas de notre pauvre chère France […] réjouissons-nous donc de souffrir, nous soldats du progrès et serviteurs de l’idée. »
Les combats de deux proscrits. Quelques mois après le coup d’état de Napoléon III, les deux hommes exilés – l’un à Jersey, l’autre à Londres – œuvrent à la liberté par leur plume : Victor Hugo vient de publier Napoléon le petit et Victor Schoelcher Histoire des crimes du deux-décembre.
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« Je commence par votre livre*. Je le lis avec bonheur. C’est une œuvre sincère, utile et forte. Je ne lui trouve qu’un défaut, c’est le format. Cela fait un trop beau volume, luxe de caractères, luxe de papier surtout, de là trop de poids et trop de place — je crains qu’il n’entre très difficilement en France, les petits livres ont déjà beaucoup de peine à se glisser entre les griffes ouvertes de Bonaparte, j’ai peur que le vôtre n’ait plus de peine encore. Or, un tel livre devrait être dans toutes les mains, aux bourgeois il apporterait l’évidence, au peuple la colère.
J’ai pris tout de suite le rensei[gne]ment que vous désiriez. Je vous envoie une lettre d’un des deux gendres de Pierre Leroux** qui sont ouvriers imprimeurs ici. Lisez, et décidez. Je vous conseille de faire imprimer votre 2e vol. ici. L’économie serait assez considérable et, en prenant un papier moins beau (chose utile), serait plus grande encore. Je serais charmé que vous disiez oui, vous viendriez et ce serait une grande joie pour moi de vous serrer la main.
Il est impossible que vous ou moi écrivions, fût-ce quelques lignes, dans les journaux d’ici, ouverts qu’ils sont au bonapartisme comme à la république, et neutres en quelque sorte. — Mais je vais tâcher qu’ils parlent de votre ouvrage comme il convient ; j’ai déjà fait sonder quelques journalistes. Ils sont étrangement indifférents et apathiques***. — Je crois pourtant qu’ils parleront.
Je n’ose encore vous affirmer que le gland d’or soit le fait de St Arnaud****. J’ai écrit cette page sur des notes très détaillées recueillies de divers côtés, mais authentiques. Ces notes, je ne les retrouve plus dans mes dossiers. J’ai peur de les avoir laissées par mégarde avec mes livres à Bruxelles. Je n’oserais vous répondre oui de mémoire. Il faut que tout soit vrai dans nos accusations. J’écris à Bruxelles. Si l’on retrouve les notes, je vous enverrai tout de suite la réponse.
Mon cher ami, vous êtes un noble esprit et un ferme cœur. Ne désespérez pas de notre pauvre chère France. Le peuple, trop flatté depuis 1848 et particulièrement par ceux qui font aujourd’hui les fatales divisions de Londres, le peuple avait besoin de cette leçon. Il est bon qu’il l’ait. Quant à nous, il est bon aussi que nous soyons proscrits. La proscription éprouve les idées, épure les partis et grandit les hommes. Or, le parti démocratique, plus que tout autre, avait besoin d’hommes. Avant le 2 Xbre, il était réduit à se faire des drapeaux avec deux ou trois noms fort contestables. Maintenant il a plus de choix. Tout cela est bon, réjouissons-nous donc de souffrir, nous soldats du progrès et serviteurs de l’idée. Je vous serre les deux mains. V.H. »
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* L’ouvrage de V. Schoelcher, Histoire des crimes du deux-décembre, était paru à Londres dans une édition in-12 cartonnée, avant d’être réimprimé à Bruxelles dans le format in-32. C’est un exemplaire de cette dernière édition, présentée comme « considérablement augmentée » qui fut offert par Schoelcher à Victor Hugo, avec cet ex-dono : « à mon aimable et charmant ami Totor. Souvenir affectueux de proscription. Jersey 23 mars 1853. » Il est conservé dans la bibliothèque de Hauteville House.
** Le frère de Pierre Leroux, ainsi que ses deux gendres étaient employés à l’Imprimerie universelle de Zeno Swietowslaski qui sera, au fil des années suivantes, l’imprimerie de toute la proscription jersiaise. On connait une édition du second livre de Schoelcher (probablement imprimée à Jersey) à l’enseigne de Jeffs, London, 1853, sous le titre : Le Gouvernement du deux-décembre, pour faire suite à Histoire des crimes du deux-décembre. Une traduction en anglais de ce dernier ouvrage, a été publiée par la « Library and Agency of the Universal Printing Establishment » à Jersey, Saint-Hélier, en 1853, sous le titre History of the crimes of the Second of December.
*** La Chronique de Jersey et Le Constitutionnel, les deux seuls journaux de Jersey en langue française en 1852, s’intéressaient fort peu à la situation des proscrits qui, dès lors, furent amenés à fonder, en 1853, leur propre journal, L’Homme.
**** Au sein de Napoléon le petit, dans un passage sur les généraux de Napoléon III, Victor Hugo en mentionne un, sans le nommer, qui « étant garde du corps de Louis XVIII et de faction derrière le fauteuil du roi pendant la messe, a coupé un gland d’or du trône et l’a mis dans sa poche ; on l’a chassé des gardes pour cela » (Petitesse du maître, p. 137). L’anecdote est recueillie dans un long développement sur Saint-Arnaud, « mort maréchal de France. Figure sinistre », dans le reliquat d‘Histoire d’un crime (Ollendorff, tome II, p. 216). Celle-ci n’a pas été reprise par Schoelcher dans l’Histoire des crimes du deux-décembre, ni dans Le Gouvernement du deux-décembre.
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Bibliographie : Victor Hugo – Victor Schoelcher. Lettres. J. Gaudon. Ed. Flohic. 2000.