La plus belle lettre d’amour qui soit : Romain GARY – “Être un homme”.

« Souviens-toi que les choses au monde que je respecte le plus sont l’honneur et la droiture. »

15.000

Romain GARY (1914.1980)

Lettre autographe signée à Christel Söderlund.

Six pages in-4° sur papier à en-tête du Café de France.

Restaurations aux plis.

Nice. 14 avril 1938.

 

« Souviens-toi que les choses au monde que je respecte le plus sont l’honneur et la droiture. »

L’une des plus belles lettres d’amour qui soient : Romain Gary, 24 ans, passionné, sensuel et exigeant clame ses idéaux à Christel Söderlund, son premier amour. La lettre est teintée d’une force romantique bouleversante, d’un désir amoureux présent en chaque ligne et d’une vaine force de conviction : il faut être un homme !

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Ma petite fille, douce, mauvaise, bonne, unique…

Je me sens si affreusement triste et seul, que ta lettre, au lieu de m’égayer, m’a fait presque mal, m’a rendu plus triste encore et j’ai envie de pleurer comme un idiot. Si seulement je pouvais savoir que tu es à moi, à moi seul, à moi, rien qu’à moi, des pieds à la tête, de tout ton corps que je vois, comme si tu étais là couchée près de moi, comme si je te caressais encore, partout, fillette, partout, de mes lèvres, de mes dents, de mes doigts ! …

Christel, dix jours sont passés depuis que tu es partie et maintenant, peut-être, tu sais mieux, tu vois mieux si vraiment tu es à moi, à moi seul, comprends-tu, si toi et moi, c’est vraiment ça ou si seulement, c’était autre chose… Je sais que tu es égoïste et que tu m’aimes dans la mesure où ça te fait plaisir, mais je voudrais savoir si c’est quelque chose de plus fort que toi, si tu peux, vraiment, tout quitter pour être à moi, ou si seulement das ist eine soeche liebe, suss und klein, die von ezeit bist zeit zu fullen schönist wie das Goethe nicht geschruben pat… [C’est un tel amour, doux et dérisoire, à qui on cède de temps en temps, comme Goethe n’aurait pu l’écrire]

C’est très beau, Christel, le chocolat de luxe et avec moi, je le crains, il y aura fort peu de chocolat, fillette, et encore moins de luxe… Christel, souviens-toi que les choses au monde que je respecte le plus sont l’honneur et la droiture, souviens-toi que si je t’aime comme femme c’est aussi parce que je t’aime comme homme et qu’un de nos deux amours n’ira, jamais, pour moi, sans l’autre… Il est très difficile d’être un homme. Mais s’il y a quelque chose qui compte, dans la vie, s’il y a quelque chose de vraiment sacré, c’est ça : être un homme. C’est dans la mesure où tu le seras, ou que tu t’efforceras de l’être (car c’est peut-être impossible) que tu seras toujours toute proche de moi, même si des milliers de kilomètres nous séparent, c’est par cette volonté dure d’arriver à être un homme que tu seras toujours, au sens le plus beau de ce mot, ma femme… »

J’ai peur, Christel, que tu ne comprendras pas ces quelques mots qui ont pour moi une si grande importance ; J’ai peur, aussi, que ces mots soient impossibles à comprendre, en ce moment, à Vienne. Si je te les écris, c’est parce que, désespérément, je cherche quelque chose qui pourrait te rapprocher de moi… Et rien, jamais, ni le mariage, ni l’amour, ni les enfants ne se rapprocheront de moi plus que ça : l’effort d’être un homme. C’est par cet effort, par cette volonté dure, par cette aspiration à la dignité humaine, à la condition humaine, que ton sang, Christel, sera dans mon sang, ta pensée dans ma pensée, et ta main, fillette, dans ma main.

Il y a peut-être trop de grandes lettres, trop de majuscules, dans ce que je te dis là. Mais ce ne sont pas de grandes lettres, des grands mots : ce sont de grands sentiments et il ne faut pas avoir honte. Et puis, nous sommes seuls, en ce moment, toi et moi, personne ne nous écoute, nous pouvons parler tranquillement. Il y a bien cette horrible musique… mais je te parlerai dans l’oreille … comme ça … Il faut vivre pour cela Christel. Il faut travailler, lutter pour cela. Il faut aimer pour cela. Je dis “aimer” et non pas “faire l’amour”. Je voudrais être cet amour et que cet amour pour moi t’aide dans l’effort. Mais peut-être trouveras-tu un autre homme, qui t’aide mieux, plus que moi. J’en serais heureux… quoique malheureux…

En tout cas, Christel, n’oublie jamais cela : rejette loin de toi l’amour qui n’enrichit pas, qui ne t’aide pas à être, à devenir un homme. Je serais tellement heureux si je pouvais t’aider ! mais il faut d’abord voir clair en toi-même. Ce que je te conseille là demande beaucoup, beaucoup plus de courage que tu ne le crois. Ça n’a rien à voir avec le plaisir, et presque rien avec le bonheur… en tout cas, pas pour les gens qui croient – les malheureux ! –  que le bonheur, c’est seulement le maximum de plaisir. Le bonheur – mon bonheur – c’est un chemin très dur. Sur ce chemin, il n’y a pas Sachs, il n’y a pas Vincens, il n’y a pas Lilliebio – il n’y a personne.

Il faut du courage pour marcher seule sur ce chemin-là mais je te propose de marcher à deux : avec moi. Je crois que tu seras capable, un jour, de marcher sur ce chemin. Je l’ai pensé, quand je t’ai vue marcher dans la montagne, pieds nus… Te souviens-tu ? Dans quelques jours, je t’enverrai une photo : toi et moi, sur ce chemin-là. Oui… ne t’étonne pas !

Il faut travailler ma lointaine, il faut étudier, être seule, lutter, souffrir beaucoup, dans l’effort et mépriser les hommes qui envoient des chocolats de luxe… Mon Dieu, je suis bête. Je t’ennuie. Non, peut-être… Je ne sais pas. Quelquefois, je doute, je pense que je ne serai pas entendu … tu es tellement blonde ! J’ai parlé beaucoup trop… et je n’ai pas envie de m’arrêter… j’ai envie de continuer… je suis un imbécile ! Mais un imbécile qui t’aime. Romain. »

 

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Romain Gary rencontra Christel Söderlund-Kryland, jeune journaliste suédoise de 21 ans, à Nice en juillet 1937. Premier grand amour de Gary, leur passion fut dévorante et brève. Après quelques mois de vie commune, Christel (qui inspirera à Gary le personnage de Brigitte dans La Promesse de l’aube), déjà mariée, retourna en son pays natal, en juin 1939, reprendre sa vie d’épouse auprès du musicien et compositeur Axel-Bror Söderlundh. Gary n’oublia jamais cette passion.

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