Jean COCTEAU devise sur les Etats-Unis et rédige sa lettre aux Américains.
« Partout, en Amérique, une minorité palpite et se donne prisonnière d’une liberté factice. »
1.500€
« Partout, en Amérique, une minorité palpite et se donne prisonnière d’une liberté factice. »
1.500€
Jean COCTEAU (1889.1963)
Manuscrit autographe signé – Américains.
Deux pages ½ in-4°.
Notes autographes au crayon au verso du 3e feuillet.
Sans lieu ni date. [1949]
« Partout, en Amérique, une minorité palpite et se donne prisonnière d’une liberté factice. »
Jean Cocteau s’adresse aux Américains en poète prosélyte de la vieille Europe.
______________________________________________________
« Américains.
Quel est le cauchemar de votre ville qui dort debout, je vous le demande ? La bombe atomique. Elle existe et vous ne voulez pas qu’elle existe. On ne parle pas plus à votre table que de la corde chez le pendu. Et comme il vous faut des excuses à ce qu’elle existe, vous augmentez inconsciemment cette pente moderne vers la pensée morte [c’est la raison du succès des ballets à New York où la gesticulation cherche à remplacer les mots.], car si la pensée était morte les explosifs ne détruiraient que du vide et ne tueraient plus rien.
Je n’admire pas une race en tant que race. Une race n’est ni mauvaise ni bonne. Je n’aime une race que si elle est opprimée. Car, même innombrable, si elle est opprimée, une race figure une minorité. Or une minorité l’emportera toujours dans mon cœur sur une majorité puisqu’une majorité opprime une minorité à cause de quelque supériorité sur elle et des remords que cette minorité lui donne.
Une race qui en opprime une autre est détestable. Si la race opprimée opprime à son tour, elle me deviendra détestable. Ne savez-vous pas que nous sommes éternellement du mauvais côté de la barricade nous autres minoritaires de la vielle Europe et que ce mauvais côté l’emporte à la longue, dans ce temps qui vous dérange, vous qui voulez vivre la minute présente, éprise de réussite et de succès.
Vous ne serez sauvés ni par les armes ni par la fortune. Vous serez sauvés par la minorité de ceux qui pensent. Par vos âmes secrètes, pas vos petits [?], par votre folie que résume Edgar Poe, bref par vos poètes, quelle que soit l’encre dont ils usent, et votre cinématographe n’est pas la moindre de ces encres, une encre de lumière que les fausses morales remplissent d’eau et empêchent de s’épanouir.
Les sociétés anonymes sont moins fortes, en fin de compte, qu’un nom caché qui dresse peu à peu. Partout, en Amérique, une minorité palpite et se donne prisonnière d’une liberté factice et presque pire que l’impérialisme des dictateurs.
Je me résume. Il suffirait d’un coup de chance pour que vos complexes, votre réserve protestante, votre angoisse, vos craintes s’évanouissent, que votre esprit bourgeonne, pullule, explore sous contrôle avec le gigantesque érotisme du printemps de vos campagnes du sud.
Une chimie dirige l’univers, chimie indifférente et supérieure à nos actes : mais, ne l’oubliez pas, le rythme du monde est qu’il respire comme votre poitrine, que ses poumons se dilatent et se contractent tour à tour. Nous sommes victimes d’une période où les poumons se vident. Le monde expire. Il ne pense plus. Il dépense. Son souffle détruit ses récoltes. Attendez qu’il emplisse de nouveau ses poumons.
Puisqu’il se désintègre, attendez qu’il redevienne intègre et qu’il se concentre jusqu’à n’être que la lampe d’une mansarde qui pense et qui risque de sauver les hommes. Jean Cocteau. »
______________________________________________________
Après avoir passé près d’un mois à New York, en 1949, Cocteau rédige – dès son retour en avion – une lettre à ses hôtes qui sera publiée chez Grasset sous le titre de « Lettre aux américains »
© 2025 Autographes des Siècles - 27 rue Maurice Flandin 69003 LYON - Eurl au capital de 50 000 € - 04 26 68 81 18 / 06 37 86 73 44 - contact@autographes-des-siecles.com