Jacques BREL (1929.1978)
Manuscrit autographe – Au suivant.
Deux pages in-8° rédigées à l’encre rouge et bleue.
[1964]
Tout nu dans ma serviette qui me servait de pagne
J’avais le rouge au front et le savon à la main.
Au suivant
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Extraordinaire manuscrit de travail, en premier jet, de cette chanson mythique inspirée par l’expérience militaire de Jacques Brel durant sa vingtième année.
Le document, très abondamment corrigé, fut écrit en deux temps : le corps du texte est tout d’abord rédigé au stylo rouge puis repris et complété ultérieurement à l’encre bleue. Lors de cette deuxième phase de rédaction, Jacques Brel apporte des modifications essentielles dont les fameux vers d’introduction sur lesquels l’artiste trébuche encore : « Tout nu dans ma serviette attachée en pagne / Le rouge sur le front, le savon à la main… « .
Le manuscrit, qui nous permet de suivre le processus créatif de l’artiste, dévoile des vers inédits, non conservés, tel celui évoquant la voix de l’adjudant « roulant dans sa moustache un provençal accent » ou encore cette pensée analytique du tragique de la situation : « ça a mal commencé, ça peut pas bien finir.«
J’avais juste 20 ans [et v’la que finissant] et je me déniaisais
Au bordel ambulant de l’armée en campagne.
Véritable chef-d’œuvre de narration dramatique, Jacque Brel inscrit au fil de ces lignes et à l’aune de sa défiance contre la chose militaire, le tragique de l’absurde, de la grotesque déshumanisation et du pathétique.
Je jure sur la tête de ma première vérole
Que cette voix depuis je l’entends tout le temps
Au suivant
Au suivant
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Brel et l’armée. L’artiste, comme pour en finir au plus tôt avec l’armée, devança son appel militaire et fit ses classes dès le 1er juin 1948, dans le Limbourg, à l’âge de 19 ans, avant d’être affecté à un régiment d’aviation dans la banlieue nord de Bruxelles sous le matricule A-48-2567. Au lendemain des horreurs de la guerre, le jeune Brel ne goûte pas aux heures de caserne et considère comme inepte l’existence d’une armée belge.
Dès lors, outre Au suivant, il ne manquera pas d’étriller la caste militaire au fil de plusieurs de ses chansons telles Le Caporal Casse-Pompon (« Mon ami est une valeur sûre – Qui dit souvent sans prétention – Qu’à la minceur des épluchures – On voit la grandeur des nations ») ou La Colombe (« Pourquoi cette fanfare – Quand les soldats par quatre – Attendent les massacres – Sur le quai d’une gare »).
Jacques Brel est finalement libéré de ses obligations militaires le 1er juin 1949, quelques semaines après avoir fêté ses vingt ans.
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Provenance : Vente Jacques Brel, Sotheby’s, 8 octobre 2008, n° 11.
Bibliographie :
Jacques Brel, L’Œuvre intégrale. pp.287.288. Robert Laffont.
Jacques Brel, une vie. O. Todd. Robert Laffont
Jacques Brel. Jean Clouzet. Seghers.