Victor HUGO (1802.1885)

Lettre autographe signée à Alexandre Lacour. 

Quatre pages in-8° carré, avec collage de presse hugolien sur le 2e feuillet.

Adresse autographe, timbre et oblitérations postales.

Hauteville house. 29 mars [1862]

 

« Les pauvres aussi sont des proscrits ; ils sont exilés de toutes les jouissances et de tous les bonheurs. Nous leur devons donc notre fraternité. »

 

Précieuse lettre du grand homme – trois jours avant la publication des Misérables – contant à son généreux correspondant les malheurs sanitaires de Guernesey et l’inauguration de ses repas des enfants pauvres à Hauteville House.

Homme de bien et de cœur, Victor Hugo organisa hebdomadairement ces repas à compter du 10 mars 1862 pour venir en aide aux enfants les plus démunis de l’île, ainsi qu’en témoigne le petit article de presse collé par Hugo lui-même au sein de cette lettre. A l’aube de ces premiers repas, les enfants conviés furent une dizaine environ. Le nombre ne cessa de croître (Hugo mentionne dans ses carnets la présence de 18 enfants le 22 avril, puis 22 en juillet 1862). Rapidement, ce furent plus de quarante bambins qui vinrent trouver refuge, nourritures et soins auprès de la famille Hugo.

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« Monsieur, je trouve votre gracieuse lettre à mon retour d’un petit voyage. Je ne saurais vous dire combien elle me touche. Ma clientèle de proscrits a diminué, mais ma clientèle de pauvres a augmenté ; j’accepte avec reconnaissance pour tous ces souffrants qui m’entourent votre généreux envoi. Les pauvres aussi sont des proscrits ; ils sont exilés de toutes les jouissances et de tous les bonheurs. Nous leur devons donc notre fraternité. Ma femme donne des layettes aux femmes en couches, et je donne de la viande et du vin aux petits enfants. Le sang anglais a grand besoin de vin de France ; les scrofules abondent dans cette île. Un petit de sept ans était scrofuleux au point que les chairs de ses doigts se détachaient et tombaient. Nous l’avons guéri avec l’huile de foie de morue ; il est sauvé ; ses plaies sont fermées. Ne trouvez-vous pas bien que le secours aux anglais vienne d’un produit français ? Si vous m’approuvez, continuez de m’aider. J’ai institué chez moi une petite pâque hebdomadaire de douze enfants pauvres ; les pieds-nus sont les préférés : je vous envoie un journal de l’ile qui raconte la chose.

 

BON EXEMPLE A SUIVRE. – M. Victor Hugo sachant combien la bonne nourriture est nécessaire à l’enfance, en ce qu’elle sert à développer le corps, à prévenir de terribles et innombrables maladies, et souvent la mort, réunit chez lui tous les mardis douze enfants choisis parmi les plus pauvres, et sans distinction de pays, auxquels il donne un excellent diner, de la bière et un petit verre de vin à chacun après le repas. M. Victor Hugo et sa famille prennent plaisir à servir eux-mêmes ces pauvres petits. Nous avons assisté mardi à un de ces diners, et avons été profondément touché de la sollicitude avec laquelle on veillait aux moindres détails pour le confort de ces petits malheureux, et de la joie peinte sur tous ces jeunes visages.

 

Si les cent ou deux cents riches de cette île voulaient en faire autant, on sauverait deux mille enfants des scrofules et des tubercules. Remerciez mon ancien collègue M. Rampaux, remerciez mes honorables amis du barreau de Paris, et quant à vous, Monsieur, je vous serre la main, et quant à Madame Lacour, je suis à ses pieds. Vous pourrez faire remettre les 280 fr. chez M. Paul Meurice, 26, r. Laval, avenue Frochot qui me les enverra. Ma femme est pour quelques jours à Paris et serait bien heureuse de voir Madame Lacour ; elle demeure 6 r. d. Verneuil. Mais elle devancera Madame Lacour. Savez-vous ce qui serait charmant, ce serait que vous, et Madame Lacour, et vos chers enfants, vous vinssiez prendre les bains de mer à Guernesey cet été. Ce serait une vraie joie pour Hauteville House. Je vous serre la main du fond du cœur. Victor Hugo. Je profiterai de votre envoi pour porter à quinze le nombre de mes petits hôtes. Merci encore, et offrez mes plus affectueux hommages à votre charmante et noble femme.

 

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Voici un extrait du discours que Victor Hugo prononça lors du dîner des enfants pauvres de 1868 : « La petite institution d’assistance pour l’enfance, que j’ai fondée il y a sept ans, à Guernesey, dans ma maison, fructifie, et vous qui m’écoutez avec tant de grâce, vous serez sensibles à cette bonne nouvelle. Ce n’est pas de ce que je fais ici qu’il est question, mais de ce qui se fait au dehors. Ce que je fais n’est rien, et ne vaut pas la peine d’en parler. Cette fondation du Dîner des Enfants pauvres n’a qu’une chose pour elle, c’est d’être une idée simple. Aussi a-t-elle été tout de suite comprise, surtout dans les pays de liberté, en Angleterre, en Suisse et en Amérique ; là elle est appliquée sur une grande échelle. Je note le fait sans y insister, mais je crois qu’il y a une certaine affinité entre les idées simples et les pays libres. Je trouve l’exil bon. D’abord, il m’a fait connaître cette île hospitalière ; ensuite, il m’a donné le loisir de réaliser cette idée que j’avais depuis longtemps, un essai pratique d’amélioration immédiate du sort des enfants pauvres enfants-au point de vue de la double hygiène, c’est-à-dire de la santé physique et de la santé intellectuelle. L’idée a réussi. C’est pourquoi je remercie l’exil. Ah ! je ne me lasserai jamais de le dire : Songeons aux enfants ! La société des hommes est toujours, plus ou moins, une société coupable. Dans cette faute collective que nous commettons tous, et qui s’appelle tantôt la loi, tantôt les mœurs, nous ne sommes sûrs que d’une innocence, l’innocence des enfants. Eh bien, aimons-la, nourrissons-la, vêtissons-la, donnons-lui du pain et des souliers, guérissons-la, éclairons-la, vénérons-la. Quelles que soient les douleurs de cette vie, je ne m’en plaindrai pas, s’il m’est donné de réaliser les deux plus hautes ambitions qu’un homme puisse avoir sur la terre. Ces deux ambitions, les voici : être esclave, et être serviteur. Esclave de la conscience, et serviteur des pauvres. »

 

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