Victor HUGO (1802.1885)

Lettre autographe signée et dédicace autographe signée à Julie Chenay.

Une page in-12°. [Bruxelles] 26 juillet [1867]

Au verso d’un long article de presse vertical, dévoilant la lettre de soutien des jeunes poètes contemporains à Victor Hugo suite à la reprise d’Hernani, et la réponse publiée d’Hugo aux poètes.

« Hauteville-House et le travail sont moins souriants ; mais là est le devoir. »

Belle lettre du grand homme venu à Bruxelles pour célébrer le baptême de son petit-fils Georges.

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« Chère Julie, Tout est bien ici. On a hier baptisé Georges. Le soir on a dîné. Le matin le prêtre l’avait déclaré chrétien, le soir, je l’ai sacré citoyen. Le mauvais temps m’empêche de partir, mais je ne m’en plains pas étant si tendrement entouré. On me gâte beaucoup. Hauteville-House et le travail sont moins souriants ; mais là est le devoir. J’y reviendrai bientôt. Cet intervalle de repos m’était du reste bien nécessaire. A bientôt donc. Ceux de Bruxelles envoient toutes leurs cordialités à ceux de Guernesey. V. »

 

Au recto figure le long article témoignant de l’échange entre les poètes contemporains et Hugo (voir ci-après la retranscription in extenso). En toute fin de la réponse hugolienne, Hugo ajoute une dédicace manuscrite : « A ma chère petite sœur Julie. V. »

 

Julie Chenay (1822.1905) est la sœur d’Adèle Foucher, épouse de Victor Hugo.

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Cher et illustre maître,

Nous venons de saluer des applaudissements les plus enthousiastes la réapparition au théâtre de votre Hernani. Le nouveau triomphe du plus grand poëte français a été une joie immense pour toute la jeune poésie ; la soirée du Vingt Juin fera époque dans notre existence. Il y avait cependant une tristesse dans cette fête. Votre absence était pénible à vos compagnons de gloire de 1830, qui ne pouvaient presser la main du maître et de l’ami ; mais elle était plus douloureuse encore pour les jeunes, à qui il n’avait jamais été donné de toucher cette main qui a écrit la Légende des siècles.

Ils tiennent du moins, cher et illustre maître, à vous envoyer l’hommage de leur respectueux attachement et de leur admiration sans bornes.

SULLY PRUDHOMME, ARMAND SILVESTRE, FRANÇOIS COPPÉE, GEORGES LAFENESTRE, LÉON VALADE, LÉON DIERX, JEAN AICARD, PAUL VERLAINE, ALBERT MÉHAT, ANDRÉ THEURIET, ARMAND RENAUD, LOUIS-XAVIER DE RICARD, H. CAZALIS, ERNEST D’HERVILLY.

 

Victor Hugo a répondu : Bruxelles, 22 juillet 1867.

Chers poëtes,

La révolution littéraire de 1830, corollaire et conséquence de la révolution de 1789, est un fait propre à notre siècle. Je suis l’humble soldat de ce progrès. Je combats pour la révolution sous toutes ses formes, sous la forme littéraire comme sous la forme sociale. J’ai la liberté pour principe, le progrès pour loi, l’idéal pour type.

Je ne suis rien, mais la révolution est tout. La poésie du dix-neuvième siècle est fondée. 1830 avait raison, et 1867 le démontre. Vos jeunes renommées sont des preuves à l’appui. Notre époque a une logique profonde, inaperçue des esprits superficiels, et contre laquelle nulle réaction n’est possible. Le grand art fait partie de ce grand siècle. Il en est l’âme.

Grâce à vous, jeunes et beaux talents, nobles esprits, la lumière se fera de plus en plus. Nous, les vieux, nous avons eu le combat ; vous, les jeunes, vous aurez le triomphe. L’esprit du dix-neuvième siècle combine la recherche démocratique du Vrai avec la loi éternelle du Beau. L’irrésistible courant de notre époque dirige tout vers ce but souverain, la Liberté dans les intelligences, l’Idéal dans l’art. En laissant de côté tout ce qui m’est personnel, dès aujourd’hui, on peut l’affirmer et on vient de le voir, l’alliance est faite entre tous les écrivains, entre tous les talents, entre toutes les consciences, pour réaliser ce résultat magnifique. La généreuse jeunesse, dont vous êtes, veut, avec un imposant enthousiasme, la révolution tout entière, dans la poésie comme dans l’état. La littérature doit être à la fois démocratique et idéale ; démocratique pour la civilisation, idéale pour l’âme.

Le Drame, c’est le Peuple. La Poésie, c’est l’Homme. Là est la tendance de 1830, continuée par vous, comprise par toute la grande critique de nos jours. Aucun effort réactionnaire, j’y insiste, ne saurait prévaloir contre ces évidences. La haute critique est d’accord avec la haute poésie. Dans la mesure du peu que je suis, je remercie et je félicite cette critique supérieure qui parle avec tant d’autorité dans la presse politique et dans la presse littéraire, qui a un sens si profond de la philosophie de l’art, et qui acclame unanimement 1830 comme 1789.

Recevez aussi, vous, mes jeunes confrères, mon remerciement. À ce point de la vie où je suis arrivé, on voit de près la fin, c’est-à-dire l’infini. Quand elle est si proche, la sortie de la terre ne laisse guère place dans notre esprit qu’aux préoccupations sévères. Pourtant, avant ce mélancolique départ dont je fais les préparatifs, dans ma solitude, il m’est précieux de recevoir votre lettre éloquente, qui me fait rêver une rentrée parmi vous et m’en donne l’illusion, douce ressemblance du couchant avec l’aurore. Vous me souhaitez la bienvenue, à moi qui m’apprêtais au grand adieu. Merci. Je suis l’absent du devoir, et ma résolution est inébranlable*, mais mon cœur est avec vous. Je suis fier de voir mon nom entouré des vôtres. Vos noms sont une couronne d’étoiles. VICTOR HUGO.

* Et s’il n’en reste qu’un, je serai celui-là. « A ma chère petite sœur Julie. V. »

 

 

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