Amedeo MODIGLIANI (1884.1920)

Lettre autographe signée à Paulette Philippi dite « Manon ».

Deux pages ½ in-8° sur papier quadrillé.

Paris. (1906-1910). Légères consolidations aux plis.

 

« Je ne peux expliquer ce qui est arrivé que par le mélange des poisons. »

Très rare lettre de de Modigliani, adressée à Manon, égérie des peintres de Montparnasse, fournisseur de drogues et de plaisirs pour les artistes de La Bohème.

Le peintre s’excuse de son comportement inacceptable qu’il attribue au Mélange des Poisons, décrit une scène de nuit hallucinatoire et se pose en « messager de joie »

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« Chère amie, Ne m’en veuillez pas de ma conduite d’hier. Je jure sur la tête de ma mère de n’avoir aucune rancune vis-à-vis (sic). Je ne peux expliquer ce qui est arrivé que par le mélange des poisons. Je garde un souvenir admirable du spectacle d’en face d’où sortait la musique. Car les fenêtres éclairées donnaient l’idée d’un éclairage a giorno dans des pièces désertes et sonores. Un homme y est arrivé et après que la petite porte de la vaste maison s’est refermée, les pièces se sont remplies d’encore plus de lumière et d’éclat et de sonorité et de silence. Que dire du jardin admirable dans la nuit ! Laissez-moi donc vous embrasser les mains, chère Manon. Je vous souhaite le bonheur tel que je le sens s’approcher de moi même. Soyez heureuse dans votre belle maison et bientôt vous verrez apparaître un messager de joie. Ouassalam (la paix soit avec toi). Modigliani ».

 

Comme la plupart des lettres d’Amedeo, celle-ci n’est ni datée, ni écrite d’un lieu spécifié. Le catalogue de Parke Bernet identifiait par erreur la célèbre maîtresse du peintre, Béatrice Hastings sous les traits de cette énigmatique « Manon ». Mais Manon renvoie sans aucun doute à un moment antérieur de la vie du peintre. De son vrai nom Paulette Philippi, Manon tenait rue de Douai à Montparnasse une sorte de salon chinois où, dans ces premières années du XIXe siècle, les jeunes peintres se livraient aux paradis des stupéfiants. C’est par Manon et par certains autres de ses « collègues » que l’usage des drogues se répandit dans la Bohème parisienne de l’époque. Manon abusait des plus beaux et s’éprenait de certains. Elle apparaît sous le nom d’Opia dans le remarquable journal de Henri-Pierre Roché. Paul fort en fera la muse de l’une de ses Ballades françaises (Paris sentimental). Et René Dalize, l’ami d’apollinaire, qualifiera cette Manon de « Malherbe de la prostitution », selon une formule relevée par André Salmon.

« J’ai fumé chez Manon. Apollinaire a fumé. Picasso s’y essaya sans persévérer. On put voir un instant, dans l’atelier du Bateau-Lavoir, un embryon de fumerie (…) Manon qui parfois montait place du tertre y avait remarqué Modigliani, le trouvant beau. Elle me pressait de le lui ramener rue de Douai : Ca ne serait pas tellement pour ce qui est de la chose (…) mais tu trouves pas qu’un beau type comme lui (…), ça ferait bien sur ma natte ? Je crois qu’il mordrait au truc, et aussi j’aurais du plaisir, après quelques pipes bien tassées, à couler les doigts dans sa chevelure orientale » (A. Salmon, La vie passionnée de Modigliani, 1957, pp. 85-87).

 

 

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