Max ERNST (1891.1976)
Lettre autographe signée à Gala Éluard.
Quatre pages in-8°.
Sans lieu ni date. [Megève. 1927]
« Oui, les tableaux “marchent” toujours. J’en ai détruit trois de ceux que vous connaissez et j’en ai douze très bien. Les sujets toujours très simples et très précis. »
Belle lettre de Max Ernst à Gala. Après les deux expositions mémorables de l’artiste à la Galerie Van Leer en mars 1926 et mars 1927, Ernst revient auprès de son amante sur ses œuvres aux « sujets toujours très simples et très précis. »
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« Ma petite fille, Faut-il que je t’attriste avec les récits des nouvelles excursions et d’un temps beau comme nous n’avons pas eu un seul jour ensemble. Avant-hier, par exemple, j’étais sur le Mont-Joue [sic] (à 2.000 à peu près) et voyais un ciel bleu si noir qu’on discernait – en plein jour – quelques étoiles. Aussi ai-je eu une vision effrayante. Il apparaît des cheveaux [sic] et un nez énorme, le tout entouré d’un large ruban rouge de feu. C’était l’animal “la belle saison” qui s’était amené là pour se venger sur moi. J’ai pris la fuite, éperduement [sic]. Je devais aussi retourner au Col d’Arbois où – naturellement -, selon leur noble habitude, se trouvaient les copains […] Sans Auguste et son petit pot, car celui-là souffre encore des conséquences de sa vanité qui l’avait poussé à faire un superbe saut raté en ski devant toutes les dames de la piste. Il s’est bien cassé la gueule.
Oui, les “compagnons” sont parti [sic] ; Paul doit avoir vu Baron au Cyrano. Oui, les tableaux “marchent” toujours. J’en ai détruit trois de ceux que vous connaissez et j’en ai douze très bien. Les sujets toujours très simples et très précis. “2 jeunes filles en de belles poses et jeune homme-double”, “homme marchant sur l’eau, tenant à la main une jeune fille et en bousculant une autre”, “l’ombre surprenante”, “joyeux retour de la pêche”, “que se passe-t-il au bord de la mer”, “la noce”, “vision que j’ai eue au sommet du Mont-Joly”, etc. etc.
Je ne savais pas que Paul aussi était accusé par Desnos. Qu’est-ce qu’il a pour déconner contre Paul ?
Je vais m’y mettre à écrire mes visions de demi-sommeil dès ce soir. Je voudrais bien aussi qu’on reproduise dans ce numéro monstre de l’R.S. [La Révolution surréaliste] “le chaste Joseph”, vous savez, ce collage que j’ai rapporté dernièrement. Il doit être sur la table de mon atelier. Enfin, je reviendrai la semaine prochaine. J’attends l’argent de Van Leer [le galeriste Leonard Van Leer] pour que je puisse payer et partir (comme vous ne voulez pas revenir ici, paraît-il).
Oui, ma petite fille, je t’aime très fort et j’étais terriblement content de trouver ta lettre hier soir. A.T. ton M. »
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Au début de l’année 1927, Max Ernst explore dans une série de tableaux toutes les possibilités du frottage et du grattage, techniques inventées en 1925 : « Tous ces tableaux […] ont été exécutés pendant l’hiver à Megève […]. C’étaient les premiers spécimens d’une nouvelle technique apparentée au frottage. Elle consiste à faire apparaître sur une toile préparée d’avance des couleurs claires et posées sur une surface inégale (un bout de ficelle par exemple), au moyen d’une spatule de maçon enduite de couleurs plus foncées, des lignes en transparence. La simplicité même ! Encore faut-il savoir dans ce jeu d’optique trouver des signes aboutissant à des interprétations imprévues” (Max Ernst, Écritures, 1970). Plusieurs de ces œuvres évoquèrent le couple et l’amour en empruntant leur mise en scène à l’iconographie chrétienne.