Marceline DESBORDES VALMORE (1786.1859)

Lettre autographe signée à l’éditeur François Louis.

Trois page in-8°. Sans lieu. 25 août 1818.

« J’ai été très accablée, Monsieur. Le ciel ne se lasse pas d’éprouver mon cœur. »

Très émouvante lettre de la poétesse, écrite à l’aube de sa gloire littéraire.

Frappée par la mort de sa fille Junie, Marceline Desbordes Valmore envoie ses vers à l’éditeur Louis qui publiera quelques mois plus tard son premier recueil de vers Élégies, Marie et Romances.

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« Monsieur. Si le travail auquel je viens de me livrer ne satisfait pas en tout votre attente, vous y verrez du moins une preuve du désir que j’ai de reconnaître vos bons avis. J’ai été très accablée, Monsieur. Le ciel ne se lasse pas d’éprouver mon cœur – je n’ai fait qu’entrevoir un ange… vous devinez, monsieur, que le titre de mère me coûte bien des larmes [la poétesse venait de perdre sa première fille, Junie, morte en bas âge]. Jugez qu’il m’a été difficile de fixer mes idées troublées sur un travail nécessaire pour vous – je n’arrêterai pas vos idées sur ce qu’il m’a coûté – il est pénible même de vivre quand on est frappé dans l’âme.  

Ne pouvant pas beaucoup écrire, mon mari [Prosper Lanchantin, dit Valmore] l’a fait sous ma dictée. Je profite d’une occasion pour vous faire parvenir ces papiers. Mr Dupavillon, l’auteur des petits dessins vous les porte. Si vous choisissez la Nuit d’hiver pour votre almanach de cette année, alors vous en avez le dessin tout fait.

Mr Alibert [le médecin Jean-Louis Alibert, soutien de Marceline] vient de m’écrire, je n’ose vous dire qu’il trouve les vers d’Élégies et de Romances enchanteurs comme il ne les a pas lus il aura cru ce que vous en disiez. Si vous voulez lui soumettre marie, cela vous regarde, mais il n’aura pas le temps non plus, car il faut en convenir, il est trop occupé.

J’ai une grâce à vous demander, c’est de vouloir bien remettre à Mr William cinquante francs dont il a, me dit-il, besoin en ce moment. Vous le voyez peut-être souvent. Si vous voulez m’indiquer l’adresse de votre correspondant à Bruxelles, j’y ferai remettre cette somme, car je sens que j’en use trop librement avec vous. La difficulté d’envoyer de l’argent à Paris me donne cette hardiesse. Je n’ai pas un moment à moi pour écrire à Mr William. Daignez m’acquitter auprès de lui en lui souhaitant toute sorte de bonheur.

J’attends à mon tour une réponse, et vous prie de me croire, Monsieur, votre plus dévouée Mne Desb. Valmore.

 

La troisième page de la lettre est passionnante : elle témoigne en effet de toute la méticulosité de Desbordes Valmore, de sa précision, de ses choix du juste mot, du parfait vers. Elle revient ainsi, auprès de l’éditeur, sur l’agencement parfait de trois de ses poèmes : La Nuit d’hiver, L’Orpheline et Clémentine à Marie.

 

Je suis toute convaincue pour Louise Lavalière. Je conserverai aux trois couplets l’humble violette – mais gardez cette romance pour votre chansonnier – je l’arrangerai suivant votre conseil et en sa place, je vous en envoie une autre pour le recueil la Nuit d’hiver :  naïvement je vais … elle ne dit pas qu’elle est naïve, elle dit qu’elle va parler franchement sans déguisement, sans contrainte, naïvement. Elle se croit abandonnée de tout dans le monde, et le monde est pour elle sa petite chambre déserte.

Nous voilà seules dans l’univers. Elle le croit – le monde est un désert pour les malheureux.

C’est l’hiver qui l’accable – l’hiver n’accable pas, c’est la chaleur – le froid opprime – il me semble.

Je te quitte à regret – elle ne la quitte pas, c’est la poésie qui s’envole par la fenêtre, comme elle est entrée. J’aime donc mieux : je ne puis t’arrêter. On devine bien que la poésie était exilée par l’amour.

L’orpheline : Nuire est mauvais, j’en conviens. Je vais l’ôter (…) J’aimerais mieux laisser pour avenir dans le vague ; Pauline en serait plus intéressante, vous verrez.

Prière à Marie. Mettez si vous l’aimez mieux :

Clémentine à genoux

Dans sa mélancolie

Et pour titre Clémentine à Marie.  

Je viens d’envoyer l’Orpheline. Vous y verrez deux vers changés, et douze retranchés.

Soyez mon frère et sauvez votre sœur !

Lise si l’on vous suit.

 

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Pour une lecture plus aisée nous avons corrigé et francisé certains mots de M. Desbordes Valmore.

 

 

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