Marcel PROUST (1871.1922

Lettre autographe signée à Georges de Lauris.

Trois pages in-12° sur papier de deuil.

Mardi, [Septembre 1906]

Kolb, tome VI, pages 219-220.

« La vie est si affreuse que nous devrions tous finir par là. »

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« Mon petit Georges, Votre lettre d’hier m’a désespéré. J’ai envoyé prendre des nouvelles (pas comme Paris !) mais dans l’intervalle, vous m’avez écrit. Peut-être au moment où je vous écris, les souffrances se sont-elles calmées. Mais je ne le sais pas. Je ne saurai plus rien avant demain matin. Et quelle nuit triste je vais passer ! Si le calcul pouvait sortir, si ces souffrances horribles pouvaient avoir été efficaces et fécondes. Hélas je n’ose l’espérer. C’est barbare de dire espérer quand on pense au déchirement que ce serait l’expulsion pour votre mère. Mais après quel soulagement physique et moral. Plus de crainte d’intervention. C’est trop beau. Je n’ose pas espérer tant. Mais je voudrais que pendant que je vous écris je puisse me dire que votre mère ne souffre plus tant, repose, n’est pas obligée à tant de morphine, n’est pas découragée, que vous n’avez pas vos yeux d’angoisse, mais votre belle figure souriante, que votre père est rasséréné. Hélas quelle vie cruelle vous avez et si vous saviez combien j’en souffre, que je suis sans interruption tendu vers vous, cher Georges quelle ravissante joie quand votre mère sera délivrée de ce calcul. Je ne vous ai jamais demandé si votre mère était pieuse, avait la consolation de prier. La vie est si affreuse que nous devrions tous finir par là. Hélas il ne suffit pas de vouloir. Adieu Georges, je me sens presque indiscret d’être si triste comme si je prenais dans votre famille une place où je ne suis pas convié. Tout à vous Marcel. »

 

 

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