Marcel PROUST décrit les charmes de la Bretagne à Georges de Lauris.

« J’espère que la Bretagne va faire vibrer en vous les nobles cordes charmantes qui sont unies dans votre intelligence par un miracle que la nature fait rarement au cordes graves et austères. »

8.500

Marcel PROUST (1871.1922)

Lettre autographe signée à Georges de Lauris.

Quatre pages in-12°. Enveloppe autographe.

Kolb, Tome III, pp 408 à 410.

Rédigé sur un bi-feuillet déchiré en marge que l’écriture de Proust contourne.

Jeudi [20 août 1903].

 

« J’espère que la Bretagne va faire vibrer en vous les nobles cordes charmantes qui sont unies dans votre intelligence par un miracle que la nature fait rarement au cordes graves et austères. »

Proust décrit les charmes de la Bretagne à son ami Lauris, tout en contant l’Affaire Humbert (plaidée par Labori) et ses désagréments amicaux.

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« Jeudi. Cher ami, J’ai vainement sollicité puis égaré les renseignements ci-joints sur la Bretagne. J’y joins sur le peu que je connais les indications suivantes. Beg-Meil est un clos de pommiers dévalant jusque dans la baie de Concarneau qui est la plus noble et douce et délicieuse chose que je connaisse. Et je pense que la baie du Morbihan doit être bien belle. Vous ne pouvez pas ne pas aller à la Pointe du Raz, vous savez ce que c’est, historiquement et géographiquement littéralement la Finisterre (la pointe extrême de la terre) la falaise géante de granit autour de laquelle la mer est toujours sauvage dominant la Baie des Trépassés, en face l’ile de Sein. Ce sont des lieux funèbres et d’une malédiction illustre qu’il faut connaître. Mais j’avoue que je leur préfère infiniment Penn’march que vous ne pouvez éviter, sorte de mélange de la Hollande et des Indes et de la Floride (Harrison dixit) * d’où une tempête est la plus sublime chose qui se puisse voir.

Vous avez été pour moi cher ami en ne disant pas la vérité (jamais !) à Picard chez Bertrand la cause de bien des ennuis. Je n’ai pas osé, cherchant une manière de lui prouver ma bonne foi et mes bons sentiments, laisser passer l’occasion qui s’en offrait au moment où il m’a demandé d’être son témoin. Et cela me brouille avec les Straus, les Le Bargy et mille autres contre-coups*** . Je ne vous donne pas de nouvelles de Bertrand car je pense que vous en avez plus que moi et aussi le favori Henraux. Il (Bertrand) a quitté Paris il me semble bien que c’était il y a eu ce samedi dernier 8 jours (il y aura après demain 15 jours). J’ai diné ce soir-là avec Antoine et lui et nous l’avons mis dans le train, assez guilleret. Antoine a quitté Paris fâché avec moi. Il est paraît-il en Angleterre. J’aimerais vous voir cher ami. Faites bien mes amitiés à Henraux. Je n’ose vous demander de présenter mes respectueux hommages à vos parents ce qui est injuste (que je ne les connaisse pas) étant donné que j’admire et répands les « mots » de Monsieur votre Père.

Quelle tristesse de voir Labori faire de l’Affaire Humbert la parodie de l’affaire Dreyfus où lui-même joue le rôle de l’Etat major avec ses absurdes secrets toujours promis**. Je n’ai qu’un regret d’être dreyfusard c’est que cela attriste le noble et le loyal Albu. Il m’a bien demandé de lui expliquer l’affaire pour lui faire partager ma conviction mais je n’en ai pas le courage.

J’espère que la Bretagne va faire vibrer en vous les nobles cordes charmantes qui sont unies dans votre intelligence par un miracle que la nature fait rarement au cordes graves et austères. Si vous me disiez : je serai tel jour à Paimpol, ou à l’île Bréhat etc. je prendrais le train et j’accourerais (si je suis encore à Paris à ce moment-là). Encore mes amitiés à Henraux. Je ne vous charge d’aucune commission pour Paris, car toutes réflexions faites sa conduite à mon égard a été des moins satisfaisante. De plus je ne peux plus même arriver à me le rappeler et si parfois je l’aperçois dans mon imagination ce n’est jamais que en train de distribuer des accessoires de cotillons, bien que je ne l’aie jamais vu au bal ! tout à vous. Marcel Proust.

 

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* Le peintre Thomas-Alexander Harrison (1853.1930)

** Proust craignait d’être brouillé avec les Emile Straus parce que le fils de Mme Straus s’était battu en duel avec Picard en mars 1903. Proust avait accepté d’être le témoin de Picard dans l’altercation que ce dernier venait d’avoir avec auguste Le Bargy, sociétaire de la Comédie Française. (Kolb, Tome III, note 5, page 410)

*** Labori, défenseur de Zola, Picquart et Dreyfus, était avocat des époux Humbert.

 

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