Marcel PAGNOL (1895.1974)

Manuscrit autographe – Jazz.

Neuf pages ½ in-4° avec montages.

Feuillets à carreaux tirés d’un cahier.

Slnd [fin 1926]

 

Remarquable manuscrit de travail constituant l’argument de sa pièce satirique et dramatique en quatre actes, Jazz.

Le sujet de Jazz est des plus dramatiques : un savant helléniste nommé Jean Blaise consacre les meilleures années de sa vie à une œuvre qu’il croyait capitale : la découverte d’un dialogue perdu de Platon, le Phaéton. Devenu un savant réputé, Jean Blaise découvre trop tardivement la vanité de ses travaux, et l’inutilité de son sacrifice, quand un savant anglais révèle que son texte n’est qu’un pastiche tardif. Désormais hanté par ses années de jeunesse perdues, Blaise tente en vain de rattraper le temps, mais celui-ci, incarné sous les traits d’un adolescent fantomatique, le tue.

Créée au Grand Théâtre de Monte Carlo, le 9 décembre 1926, la pièce est reprise immédiatement après à Paris, au théâtre des Arts, le 21 décembre 1926.

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Jazz 

« Après une jeunesse solitaire et passionnément studieuse, Jean Blaise eut jadis la chance de trouver, au cours d’un voyage en Égypte, un palimpseste, c’est à dire un manuscrit dont le texte grec avait été effacé à la pierre ponce par un moine du moyen-âge, qui avait ensuite copié sur le parchemin remis à neuf l’Évangile selon St Jean. 

Blaise acheta le parchemin ; par des procédés chimiques connus, il fit disparaître le texte latin, puis fit reparaître l’ombre du texte grec. L’ombre, car plus de la moitié des phrases grecques, trop bien effacés par le moine, surgissent sous la forme de taches brunes à peu près indéchiffrables. Il restait cependant assez de mots lisibles pour que Blaise pût comprendre la valeur de sa découverte : il avait retrouvé le Phaéton, une œuvre perdue de Platon.

Alors, pendant de longues années, il se pencha sur l’œuvre mutilée. De toute son intelligence, de tout son cœur, il rechercha les lettres disparues, il compléta les mots détruits, il compléta les phrases tronquées. Un jour, enfin, après bien des alternatives d’espoir et de découragement, il put donner un texte complet du Phaéton. Les érudits du monde entier l’accueillirent avec une joie unanime. Blaise, qui était professeur de lycée, obtint une chaire dans une Faculté. Il fut considéré dès lors comme l’une des plus hautes autorités en matière de langue et de paléographie grecque.

Quand le rideau se lève sur le cabinet de travail du savant M. Barricant, quincaillier, ami d’enfance de Blaise, vient d’arriver. Il n’a pas vu son vieux camarade depuis trois ans, et comme il passait par là pour une affaire de faucheuses mécaniques, il a eu l’idée de s’arrêter un jour chez son ami. Mais Blaise est sorti ; Barricant est reçu par Mélanie, la vieille servante, qui était en conversation avec le Doyen de la Faculté.

Ce Doyen, qui est un petit vieillard bilieux, n’aime pas Blaise, ce subordonné dont la gloire le gêne. Il annonce, en cachant à peine sa satisfaction, qu’un grand malheur est arrivé ; il en parle à mots couverts, il ricane avec des allusions à Phaéton, et demande à Barricant, qui n’y comprend rien, de « préparer son ami à la fatale nouvelle ». Puis il s’en va, en déclarant qu’il reviendra dans une heure accomplir sa pénible mission.  

Restés seuls, Barricant et Mélanie se regardent, inquiets. La vielle Mélanie, qui sert Blaise depuis des années, essaye de rassurer Barricant. Puis, elle parle de la santé de Blaise. Il n’est pas malade, mais il est bizarre depuis quelque temps. Il reste seul, dans la nuit, pendant des heures. Il ne dort presque plus, elle l’entend qui se promène dans sa chambre… Il se met en colère pour des riens……

Blaise revient de son cours. Il montre une grande joie dès qu’il revoit son vieil ami, et ils bavardent en buvant un peu de porto, pendant que Mélanie prépare des perdrix aux choux. Soudain, une visite. C’est une élève de Blaise, Cécile Boissier. Elle vient demander à son maître un manuel de phonétique. Blaise lui donne le volume, et lui fait ensuite quelques observations sur le thème grec de la veille. Il lui rappelle certaines règles de grammaire – et l’on sent bien, dans sa façon de lui expliquer l’emploi de l’optatif futur, qu’il a, sans le savoir lui-même, une tendance particulière pour cette petite fille blonde… Au moment de quitter son maître, Cécile Boissier est gênée. Elle hésite, elle se décide brusquement : elle voudrait parler à Blaise à propos de Stépanovitch.

Stépanovitch est un jeune professeur serbe, venu en France poursuivre des cours. Il est très pauvre, et il va renoncer à ses études faute d’argent. Les étudiants se sont cotisés, ils ont réuni mille francs et Cécile Boissier demande à Blaise de remettre ces mille francs à Stépanovitch. Blaise refuse l’argent, et promet de venir en aide au serbe de façon moins humiliante. Et en effet, Stépanovitch vient faire ses adieux à son maître. Mais avant même qu’il ait pu annoncer son départ, Blaise lui a offert du travail, et lui a versé un acompte. « Stépa » ne partira pas.

Barricant revient, et les deux vieux camarades reprennent leur conversation. Barricant parle de ses enfants. Blaise parle de Phaéton. Le bon Barricant, que les vagues menaces de Doyen ont inquiété, essaie de montrer à Blaise que ce Phaéton n’est pas toute sa vie… Blaise s’enflamme aussitôt, et répond durement à son vieil ami. Et voici le Doyen, qui vient apporter la terrible nouvelle : un savant anglais a trouvé un autre texte du Phaéton. Un texte complet, sans lacune, conservé à l’abri de l’air dans un tombeau… Et ce nouveau texte prouve, d’une façon irréfutable, que toutes les conjectures de Blaise pour combler les lacunes de son palimpseste sont entièrement fausses. En outre, ce Phaéton n’est pas celui de Platon, c’est l’œuvre d’un maître d’école du 1er siècle qui s’amusait à faire des pastiches… Le Doyen apporte l’article du savant anglais, cet article qui détruit l’œuvre de toute une vie…

Et voici Blaise seul, assis devant son bureau, penché sur les pages qui détruisent sa gloire… Peu à peu, son visage se crispe, des larmes coulent sur ses joues… Alors, on vit surgir de l’ombre derrière lui, un jeune homme mal vêtu, mal rasé, un jeune homme pâle, qui a dans le bras une serviette d’écolier, et qui porte un vieux parapluie. Ce jeune homme se penche sur Blaise, et il lit par-dessus son épaule en secouant la tête, pendant que le rideau descend.

Le décor du 2e acte représente une salle de cours à la Faculté des lettres. Blaise, qui est resté chez lui pendant quelques jours, va revenir faire son cours. Le Doyen est inquiet. Il voudrait bien que Blaise ne rentrât pas si tôt après l’écroulement du Phaéton, qui a fait beaucoup de bruit. Il ne peut l’empêcher de rentrer, mais il fait renvoyer les élèves par l’appariteur. Seuls restent quelques fidèles. Cécile Boissier, Stépanovitch, Melle Poche… D’autres veulent revoir Blaise, par curiosité. Quand il arrive, ils sont une dizaine, et c’est devant eux qu’il fait sa dernière leçon. L’inconnu de la fin de l’acte est entré avec lui ; il s’est assis parmi les élèves qui ne le voient pas ; visiblement, c’est lui qui inspire à Blaise les paroles inattendues qu’il lance du haut de sa chaire : l’effort intellectuel est absurde et vain. Les travaux de l’esprit ne sont qu’un jeu et la culture littéraire n’est qu’un moyen d’existence autorisé par la loi… Une seule chose compte : vivre d’une vie humaine et simple, loin des livres, au soleil.

Pour lui, il regrette les années perdues, sa jeunesse gâchée par les livres. Il sort suivi du jeune homme et laisse ses élèves stupéfaits.

Enfin, au 3e acte, le mystérieux jeune homme parle. Ce jeune homme dont la présence invisible rendait Blaise nerveux au premier acte, c’est sa jeunesse, c’est le jeune homme qu’il était à vingt ans. Le pauvre étudiant prisonnier des livres. Celui qui aurait voulu parler aux jeunes filles… La chute de Phaéton l’a délivré. D’abord, il demande des comptes.

Et quand Blaise lui répond « trop tard ! « , il va prouver au savant qu’il est encore jeune, qu’il peut encore être aimé, et il le poussera vers Cécile Boissier. Le vieux professeur se traîne à genoux devant son élève, il la supplie de devenir sa femme. La jeune fille, qui est tendre et sérieuse, et qui n’a encore jamais songé à l’amour, acceptera par pitié.

Mais quelques jours plus tard, Stépanovitch viendra l’arracher au vieillard. Alors le jeune homme surgît de nouveau. Il voudrait entraîner Blaise vers les lieux de plaisir facile… Le savant résiste. Le jeune homme lui saute à la gorge. Blaise saisit un revolver, et tire sur son double, qui éclate de rire : on ne peut pas le tuer ! C’est lui qui prendra le pistolet des mains du vieillard, et qui le tuera.

 

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Après l’échec de sa pièce, Les Marchands de gloire, en 1925, Jazz connaît un succès critique et d’estime. Il faudra néanmoins attendre la troisième pièce du jeune provençal, Topaze, créée en 1928, pour que le nom de Marcel Pagnol s’impose dans le monde théâtral.

 

 

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