Louis-Ferdinand CÉLINE répond, depuis sa geôle, à ses accusateurs.

« Les juifs devraient m’élever une statue pour le mal que je ne leur ai pas fait et que j’aurais pu leur faire. »

1.900

Louis-Ferdinand CÉLINE (1894.1961)

Tapuscrit corrigé et signé – Réponses aux accusations formulées contre moi.

Dix pages grand in-4°. Quelques corrections autographes.

Légers défauts marginaux sans atteinte au texte.

Copenhague, 6 novembre 1946.

 

 

« Les juifs devraient m’élever une statue pour le mal que je ne leur ai pas fait et que j’aurais pu leur faire. »

Long et précieux plaidoyer de défense de l’écrivain, rédigé depuis sa geôle danoise et envoyé en mars 1947 au Président de la Cour de Justice de la Seine, à quelques journalistes et proches.

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Réponses aux accusations formulées par la Justice française contre moi au titre de trahison et reproduite par la Police Judiciaire danoise au cours de mes interrogatoires.

Je suis accusé :

D’avoir écrit pendant l’Occupation deux livres : « Guignols Band » et « Histoire de Bezons » dans l’intérêt et pour le compte de la Propagande allemande.

Il suffit d’entrouvrir ces deux livres pour se rendre compte de l’inanité de cette accusation. L’un de ces livres est de littérature fantastique, l’autre : l’histoire locale d’un village aux environs de Paris (…) 

D’avoir été Membre d’Honneur du « Cercle Européen ».

Je n’ai jamais été membre du « Cercle Européen », non plus que d’aucun autre cercle, société, parti, etc. Je crois avoir été en tout et pour tout dîner trois fois au Cercle Européen (…) 

D’avoir dès l’occupation du territoire français par les forces allemandes accentué encore ma position politique poussant tant par mes paroles que mes écrits à une aggravation de la persécution antisémite.

Cette accusation représente exactement tout le contraire de la vérité. Dès l’arrivée des Allemands, je me suis complètement désintéressé de la question juive, et du reste je n’avais pas rêvé la guerre mais la Paix. Je ne me souviens pas d’avoir écrit une seule ligne antisémite depuis 1937. Je n’ai d’ailleurs jamais à aucun moment dans une seule ligne de mes livres poussé à la persécution antisémite. J’ai protesté contre l’action de certains sémites qui nous poussaient à la guerre (…) Je suis probablement le seul écrivain français de renom demeuré strictement, jalousement, farouchement écrivain et rien qu’écrivain, sans aucun compromis.

A cette assertion il m’est opposé quatre lettres privées, signées de mon nom et publiées par certains journaux.

(…) Je proteste absolument contre cette dénomination. Ce sont des lettres, publiées par aventure, et aux risques de leur destinataire (…) On peut voir d’ailleurs par ces diverses lettres écrites en plein triomphe allemand, bien avant Stalingrad, que je ne manifestais d’aucune foi antisémitique, et que Vichy d’autre part faisait saisir mes livres par sa police (tout comme Hitler les faisait saisir en même temps en Allemagne).

Ai-je par mes gestes, mes démarches, mes actions, collaboré avec l’Occupant ?

Je n’ai jamais mis un pied à l’Ambassade d’Allemagne, ni avant, ni pendant l’occupation (…) Je n’ai jamais appartenu de ma vie à rien du tout, sauf à l’armée française, et glorieusement (…) 

Mes relations littéraires avec l’Allemagne.

Dès l’arrivée d’Hitler au pouvoir tous mes romans ont été interdits en Allemagne, et cette interdiction a été strictement maintenue pendant toute la durée du règne nazi (…) Cependant que sous ce même régime nazi (à mes livres si sévère), bon nombre d’écrivains français, dits antinazis et « résistants », trouvaient fort bon accueil. MAURIAC, MAUROIS, MARTIN DU GARD, JULES ROMAIN, etc. Pendant l’occupation d’autres auteurs français bien connus, tels La Varende, H. Bordeaux, Guitry, Montherlant, Simenon, Giono, Chadourne, (…) ont fourni sans cesse une amusante ou grave copie aux journaux de la collaboration et même aux revues Franco-Allemandes. (…)

Question Juive.

Il n’aurait tenu cependant qu’à moi, on s’en doute, avec un peu de diplomatie, d’hypocrisie et de complaisance, de devenir « Haut-Commissaire aux Juifs » en France. J’aurais pu être tenté après tout par cette fonction, par ce pouvoir absolu (…) Tout bien examiné, honnêtement envisagé, sans passion, considérant les circonstances, les juifs devraient m’élever une statue pour le mal que je ne leur ai pas fait et que j’aurais pu leur faire. Eux me persécutent, je ne les ai jamais persécutés. Je n’ai point profité de leur faiblesse temporaire, je n’ai pris aucune revanche des outrages sans nombre, mensonges, calomnies féroces (…) Le démocrate dans toute cette affaire, impeccable, c’est moi. (…)

Il m’est reproché d’avoir pris publiquement et avec violence position contre la Résistance Française.

Je n’ai jamais pris position contre la Résistance française. J’ai payé trop cher de mon sang et de mon martyr mon patriotisme pour ne pas le respecter chez autrui. (…) J’ai toujours entretenu avec ceux-ci des relations très cordiales, et la plupart de mes malades appartenaient à la Résistance (…)

Il m’est reproché de m’être enfui de Paris au mois d’août 1944 sous la protection des Allemands et d’avoir été traité en Allemagne comme un ami par les Nazis.

En vérité j’avais demandé aux Allemands depuis trois ans déjà la permission de me rendre au Danemark, où je voulais me retirer pour y travailler tranquillement et me soigner loin de la guerre et de la collaboration. (…) Je fus interné immédiatement à Baden Baden et séquestré (…) J’ai demandé aussitôt à retourner en France. (…)

Que me veut-on finalement ? Quel est le sens de toutes ces furieuses attaques dont je suis l’objet ?

On veut, on cherche désespérément à me faire payer, expier mes livres d’avant guerre, mes succès de littérature et de polémique d’avant guerre. C’est tout. Il semble impossible, inimaginable) mes ennemis (tellement grand en est leur désir), que je me sois abstenu de tout collaboration. Cette abstention leur paraît monstrueuse, impensable. Il faut, pour leur fins, que j’aie collaboré. (…) Ils comptent sur cette « collaboration » pour me faire condamner et exécuter, si ce n’est légalement, pas assassinat.(…) Utiliser les transes populaires pour faire décapiter l’adversaire jalousé, envié, détesté, le truc n’est pas d’hier. Cela s’appelle alors le châtiment. Ainsi furent « châtiés » en France : Lavoisier, Champfort [sic], Chenier et cent autres – petits et grands. LF Celine. »

 

 

Bibliographie : Céline et l’actualité. Cahier Céline n° 7, p. 245 sq.

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