Louis-Ferdinand CÉLINE (1894.1961)

Lettre autographe signée à son avocat Thorvald Mikkelsen et à son épouse Lucette.

Deux pages in-4° sur papier rose de la prison Københavns Faengsler.

Copenhague. Vendredi 17 août 1946.

Lettre inédite à la correspondance de la Pléiade.

 

« Je ne suis inquiet que de ma pauvre Lucette et puis de mon chat et enfin de ma liberté. »

Intéressant témoignage de la situation pénitentiaire de Céline accablé de désespoir par la situation difficile vécue son épouse Lucette due à son propre emprisonnement.

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« Mon cher Maître, Je suis à présent adapté à mon nouveau local, certainement l’une des meilleures cellules possibles. Le médecin et l’infirmière s’occupent de moi. Je sens partout l’heureuse influence, la providence Mikkelsen ! Je ne suis inquiet que de ma pauvre Lucette et puis de mon chat et enfin de ma liberté. C’est beaucoup bien sûr, c’est énormément, le prisonnier ne sait que gémir. Sale temps. Et vous n’avez pas une minute ! Bien aff. Des[touches].

Mon petit mimi chéri, Ton pauvre message si tragique si douloureux me tient tout en chagrin. Comment ai-je pu être si brutal si imbécile si injuste. Toi qui au contraire a si admirablement résisté aménage avec de si piteux moyens ma défense auprès de tous. Toi toute seule pauvre mignonne dans cette ville étrangère – sans langage […]. J’accable Karen [Karen Marie Jensen] elle m’a dit tout au contraire qu’elle ne voulait pas que tu manques de rien et d’ailleurs que ce n’était pas son argent mais le nôtre, celui de notre ménage. Elle n’a pas fait la moindre remarque désobligeante, au contraire, mais j’ai échafaudé une monstruosité tout de suite et j’ai commis l’idiotie de t’accabler de reproches. Comme je suis idiot et fou.Toutefois je crois la cohabitation avec Karen impossible. […]

Tu ne dois en aucun cas dévaler au rang de Cendrillon, de fille de cuisine, de petite humiliée, éclaboussée, reléguée ! Jamais. […] Elle ne ferait rien de semblable. Je pense – mais enfin il ne faut pas tenter le diable. Tu as ton indépendance, elle le dit bien nettement elle-même. Bien sûr que je lui payerai les loyers et les meubles abîmés par Bébert [le chat de Céline] et que je lui serai encore bien reconnaissant mais il ne faut à aucun prix se laisser ravaler au range de souffre-douleur. Jamais. Je souffrirais de te savoir ainsi dix fois plus juste la prison. Tu n’as qu’à calculer l’argent pour 5 ou 6 ans – 7 ans – et puis c’est tout – à dépenser – sans folie bien sûr mais gentiment et bien habillée, bien dormir, bien manger avec Bébert. Il y a de quoi. Ainsi seulement dans ce sentiment de te savoir à ton aise je peux tenir – mais nullement Cendrillon de princesse, petit animal éperdu, galeux, humilié – Jamais. Cent mille fois plutôt rentrer et tout de suite et je l’assure avec joie.

Je me méfie de tes efforts pour gagner ta vie. J’ai peur des complications de police. […] Si tu enseignes davantage tout de suite les jalousies te relanceront, fatalement. Il faudrait une autorisation en bonne forme et la police ! Tu ne l’auras pas ! Donc va doucement et très prudemment […] Ne m’achète pas trop à manger. Je suis comblé de nourriture. Engraisser aussi m’est mauvais ! Je suis au mieux que je puis être, si je te sens aller mieux, engraisser à ton tour, dormir et travailler ta danse. Il est bon que Karen aille en rentrant voir les Affaires Étrangères. Je finirai peut-être par savoir pourquoi on ne me libère pas ? Cela devient drôle presque à rire. Le policier de Paris n’arrive toujours pas ! tu penses !

Je voudrais bien savoir ce qu’est venu faire Léon BLOY au Danemark ? Sans doute en fuite. Il a passé sa vie à fuir. C’était un écrivain catholique polémiste furieux, pas très scrupuleux mais plein de talent – épileptique. Il trompait tout le monde. Il a voulu faire chanter les Rothschild. [Céline lisait alors, en cellule, un ouvrage sur Léon Bloy]

Pas plus d’une Revue des 2 mondes – je suis surchargé de livres. Je te verrai bientôt. […] Dépense ce qu’il faudra mais autorisée par la police – abstention – mais ne sacrifie as tes mains au service de princesses. Ce sont elles qui devraient te servir. Tu as trop de facilités à te soumettre à tout – non – même en ces temps atroces et par le prix de la plus précieuse amitié. Ne jamais déchoir – jamais – je préfère et mille fois rentrer tout de suite à Fresnes que de te savoir dédaignée, écartée, […]»

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Céline se réfugia au Danemark à la Libération. Il trouva à se loger dans l’appartement d’une amie, la danseuse Karen Marie Jensen qui résidait alors à Madrid. L’ambassadeur de France, apprenant en octobre 1945 la présence de Céline au Danemark, s’informa auprès du ministre des Affaires étrangères de ce qu’il convenait de faire. Georges Bidault lui répondit qu’un mandat d’arrêt avait été lancé contre Céline en avril 1945 et qu’il fallait obtenir son extradition. Le 17 décembre 1945, le couple fut arrêté, Lucette étant libérée quelques jours après. Pour sa défense, Céline s’adressa au Danemark à Thorwald Mikkelsen, avocat francophone et francophile rencontré par l’intermédiaire d’amis danois, et en France à Albert Naud, avocat ancien résistant approché par l’intermédiaire de son ami Antonio Zuloaga, attaché de presse à l’ambassade d’Espagne. Le gouvernement danois, jugeant insuffisants les griefs à l’encontre de Céline, refusa son extradition mais le garda en prison jusqu’au début du mois de mars 1947, date à laquelle il fut transféré dans un hôpital de Copenhague.

 

 

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