Jean-François CHAMPOLLION prépare la collection Salt pour le Louvre. 1826.

« Je trouve dans ce musée de la pâture en abondance, des papyrus superbes soit hiéroglyphiques soit hiératiques, soit démotiques, des stèles de la plus grande beauté et en fait de pièces de résistance, le sarcophage du Roi Ramsès-Meiamoun

60.000

Jean-François CHAMPOLLION (1790.1832)

Lettre autographe signée au chevalier William Gell, à Rome.

Trois pages in-4° illustrées d’une dizaine d’inscriptions hiéroglyphiques.

Adresse autographe et marques postales. Lettre inédite.

Livourne, le 29 mars 1826.

 

« Je trouve dans ce musée de la pâture en abondance, des papyrus superbes soit hiéroglyphiques soit hiératiques, soit démotiques, des stèles de la plus grande beauté et en fait de pièces de résistance, le sarcophage du Roi Ramsès-Meiamoun

  

Champollion et la collection Salt.

Fascinante lettre du père de l’égyptologie – inédite – à l’archéologue William Gell, l’informant être accaparé par l’acquisition française de la collection Salt qui doit revenir au Louvre. Champollion décrypte et analyse par ailleurs l’ensemble des inscriptions hiéroglyphiques confiées par Gell à son analyse.

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Vie, santé, force, pour mon éternel Gell, aimé éternellement

Comment vous remercier dignement, carissimo egiziano mio, de toutes les peines que vous prenez pour me communiquer les richesses hiéroglyphiques dont vous êtes pourvu en si grande abondance ! Je ne puis que vous envoyer mille actes de gratitude, et promettre de vous élever une Stèle de reconnaissance où votre nom sera inscrit en caractères sacrés, accompagné de toutes les bénédictions avec prière aux dieux de 62 régions, de vous couvrir de leurs ailes protectrices pour éloigner de vous cette maudite goutte, fille de Typhon, née du venin répandu sur la terre par le grand serpent Apophis lorsque notre ami Sôou (l’hercule égyptien) eut le bon sens d’en débarrasser le monde.

C’est à Turin où je suis arrivé le 15 de ce mois (de retour d’une petite course que j’ai faite en France), qu’on m’a remis votre aimable lettre du 27 janvier. Et c’est de  Livourne que j’y réponds au milieu de la belle collection égyptienne de Mr Salt que j’ai été chargé d’acheter et d’expédier à Paris pour le musée Royal de France ; cette acquisition qui est due en grande partie à l’influence de Mr Le Duc de Blacas, m’a comblé de joie comme vous pouvez le croire : je trouve dans ce musée de la pâture en abondance, des papyrus superbes soit hiéroglyphiques soit hiératiques, soit démotiques, des stèles de la plus grande beauté et en fait de pièces de résistance, le sarcophage du Roi Ramsès-Meiamoun [Hiéroglyphes] (1) grand père de Sesostris. C’est une masse intacte de 10 pieds de long sur cinq ½ de haut couverte en dedans et en dehors de bas-reliefs et d’inscriptions. Ce sarcophage dont vous avez le couvercle à Cambridge est en granit rose et d’un seul bloc(2)La collection est richissime en objets de tout genre : Je l’encaisse dans ce moment et j’aurai terminé mes emballages vers la fin d’avril : je compte donc être à Rome vers le 15 de mai. Serai-je assez heureux pour vous y trouver à cette époque ? Ce serait une grande mortification pour moi que vous fussiez absent au moment où j’arriverai au pied du Quirinal. Veuillez m’écrire un mot pour confirmer l’espoir de nous rencontrer dans la vielle Babylone (3) .

La table trouvée par le docteur Clarke (4) dans les ruines de Saïs est une inscription funéraire en l’honneur d’un certain Psammetichus l’un des chapelains du Roi Amasis. Ce monument est donc de la fin du VIe siècle avant J.C.

J’ai beaucoup entendu parler de cette inscription grecque gravée sur la tombe de l’un des colosses d’Ibsamboul (5) : mais je ne l’ai jamais vue : je sais seulement qu’il y est parlé du Roi Psammetichus ce qui suffit pour prouver que le cartouche ou nom royal inscrit sur ce temple et qui est celui de Ramsès le Grand, ne pouvait être celui du Roi Amasis postérieur à Psammetichus, comme le croyait d’abord le Dr Young (6) .

Vos inscriptions astronomiques d’Esné (7) m’intéressent vivement. Les membres de la commission d’Égypte n’ont pas copié les hiéroglyphes des zodiaques ni des tableaux astronomiques du même temple. Ce serait un trésor pour moi de les avoir, dans ce moment surtout où j’ai en main un document très précieux pour l’étude des zodiaques égyptiens en général et de celui d’Esné en particulier. C’est un papyrus grec de la collection de Salt qui contient un horoscope de la 1ère année de l’Empereur Antonin avec l’indication du domicile des planètes et leurs rapports détaillés avec les signes du zodiaque – J’espère donc faire connaissance à Rome et livrer une bataille rangée, comme vous le dites fort bien, à vos hiéroglyphes astronomiques. – Parmi le peu de noms astronomiques que vous avez eu la bonté de me communiquer je trouve déjà ceux de deux des décans nommés dans l’Astrologue Firmicus (8)  Chnoumis [H] et cnachumis [H].

Les cartouches du temple de Semné sont très curieux et confirment ce que je savais déjà par les dessins de Cailliaud (9). Savoir que le Roi Osortasen de la XVIIe dynastie dont le prénom est ainsi fait [H] (10) avait été divinisé et qu’on l’adorait dans ce temple de Semné en même temps que le Dieu Nil. C’est probablement là le fameux Roi Nilus de Diodore.

J’ai trouvé dans la collection de Salt (11) beaucoup d’inscriptions royales. Une d’Aménophis IIe, plusieurs de Sesostris et une fort curieuse datée de l’an 1er du Roi Nechâo [H] également écrit [H] sur la même stèle (12) ; mais ce qui m’a le plus intéressé, est une pierre de porcelaine émaillée en verd [sic] ayant la forme d’un cartouche Royal (13). Au milieu de tous les insignes et emblèmes de la déesse Athyr sont placés un cartouche prénom et un cartouche nom propre ainsi qu’il suit [H] C’est à dire la mère dame des Bienfaits ou la mère dame très gracieuse Nitocr : c’est sans aucun doute la légende royale de la fameuse Reine Égyptienne Nitocris, celle qui donna une si furieuse leçon à la caste militaire et qui finit par être égorgée par les soldats mutinés. Son nom propre est composé du nom de Nit ou Neith, symbole [H] dont j’ai trouvé la prononciation écrite phonétiquement [H] et [H] plus le mot [H] [H]. Il signifie (comme l’a fort bien dit Erathosthène dans le canon des Rois de Thèbes) Neith-Victorieuse, Athéna Nicephore. La légende royale de cette courageuse Reine ne manquera pas de vous intéresser. Elle a d’autant plus de droits au respect des galants chevaliers comme vous et moi, que Manethon nous assure qu’elle était fort jolie, ce que démontrent d’ailleurs suffisamment les insignes de la Vénus égyptienne qui ceignent de toute part son prénom et son nom propre.

En attendant de vos nouvelles avec impatience, je vous réitère la sincère expression de mon inviolable attachement. J.F. Champollion le j[eune]. (chez Mr Santoni banquier à Livourne)

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En juillet 1825, Champollion se rend à Livourne : « attiré par l’odeur d’une collection égyptienne arrivée depuis quelque temps, et sur laquelle s’étendait un voile mystérieux. Les détenteurs actuels MM. Santoni banquiers ne voulaient la montrer à personne mais mon nom a suffi pour que tout me fût ouvert« . La collection Salt est en vente chez les banquiers Santoni, à Livourne.

La collection d’Henry Salt (1780.1827), consul britannique en Égypte, révèle une variété exceptionnelle de pièces : sarcophages, cartonnages, statues, stèles, coffres, mobilier, vases, oushebtis, papyrus, sceaux, sandales, vanneries, masques funéraires, bijoux, amulettes… en bois, grès, bronze, terre émaillée, calcaire, faïence, albâtre, serpentine, or, ivoire.

Subjugué par la richesse de la collection, Champollion souhaite ardemment que la France s’en porte acquéreur et puisse ainsi œuvrer à la création d’un musée égyptien. Il craint en effet cet ensemble de trésors n’échappe au pays comme ce fut le cas pour la première collection Drovetti (la drovettiana) et s’évertue à convaincre le roi Charles X du bien fondé de l’investissement. Le roi n’est pas convaincu et l’égyptologue désespère : « C’est une affaire perdue à toujours, et le mot économie fait une très bonne figure dans la bouche de gens qui jettent les millions quand il s’agit de faire une sottise ou de satisfaire une ridicule vanité. »

Finalement convaincu par le rapport du Duc de Blacas, Charles X ratifie, le 23 février 1826, l’achat de la collection Salt au prix demandé de 250.000 francs. Champollion est alors mandaté pour retourner à Livourne afin de dresser un inventaire descriptif des 4014 objets puis d’en organiser le transport jusqu’à Paris. Enthousiaste, exalté par tant de beauté, il est à pied d’œuvre dès le 15 mars : « La collection est richissime en objets de tout genre : Je l’encaisse dans ce moment et j’aurai terminé mes emballages vers la fin d’avril. » confie-t-il a Gell.

Le 15 mai, une nouvelle extraordinaire parvient à Champollion : il apprend qu’une ordonnance du roi Charles X vient de créer la division des antiquités égyptiennes du musée du Louvre ; il en est nommé premier conservateur !

La collection Salt va rejoindre Paris. La Durance, navire chargé de convoyer les caisses d’antiquités vers la France, entre dans le port de Livourne le 24 juin. Le chargement peut enfin commencer et, le 8 juillet l’embarquement des pièces est clos : « La collection est tout entière à bord de la Durance. Elle en a plein le ventre. » Les précieuses antiquités poursuivent ensuite leur voyage vers Paris où Champollion les réceptionnera fin novembre 1826.

C’est à Rome, en 1824, par l’entremise du duc de Blacas d’Aulps, son protecteur, que Champollion avait fait la connaissance de l’archéologue britannique William Gell (1777.1836). Ce dernier, ami de l’égyptologue anglais Thomas Young, de Walter Scott et de Lord Byron, se passionne pour les hiéroglyphes égyptiens et communiquait de précieuses inscriptions relevées et copiées à Karnak par ses compatriotes Wilkinson et Cooper qui avaient parcouru l’Égypte à partir de 1821.

Dans cette lettre encore Champollion continue à analyser et à préciser les inscriptions hiéroglyphiques soumises par William Gell dans sa lettre du 27 janvier. Par ailleurs, conscient des liens célestes des inscriptions égyptiennes, Champollion fait part à son ami de son désir de préciser davantage ses connaissances astronomiques : « Vos inscriptions astronomiques d’Esné m’intéressent vivement. Les membres de la commission d’Égypte n’ont pas copié les hiéroglyphes des zodiaques ni des tableaux astronomiques du même temple. Ce serait un trésor pour moi de les avoir, dans ce moment surtout où j’ai en main un document très précieux pour l’étude des zodiaques égyptiens en général et de celui d’Esné en particulier. »

Dans une lettre datée du 20 avril (conservée à la BnF), Gell répondra à Champollion : « Mon cher Champollion, Je serai certainement à Rome, vivant ou mort, lorsque vous viendrez en mai, et je serai hautement enchanté de vous voir. Je pense que je serai en mesure de vous montrer de nombreuses inscriptions astronomiques et « bien ou mal » toute chose du zodiac à Esné… »

 

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(1)  Cartouches de Ramsès III. Le cartouche de gauche est son nom de couronnement « Ouser-maât-rê, mer-Imen ». Le cartouche de droite est son nom de naissance « Râ-mes, héqa Iounou ».

(2)  Il s’agit du cercueil du roi Ramsès III. La cuve, faisant partie de la collection Salt, fut achetée pour le musée du Louvre. Numéro d’inventaire : N 337. Ancien numéro : Salt n°3835. Le couvercle de la cuve est aujourd’hui conservé au Fitzwilliam Museum de Cambridge.

(3)  Champollion et Gell se retrouvent bien à Rome en mai 1826 comme l’attestent les échanges de lettres entre les deux frères Champollion.

(4)  Edward Daniel Clarke est un minéralogiste et voyageur, né à Willington le 5 juin 1769, mort à Cambridge le 9 mars 1822. De Hammer lui conteste la découverte de l’antique Saïs.

(5)  Abou Simbel

(6)  Thomas Young (1773-1829) : médecin, physicien anglais qui s’est intéressé aux hiéroglyphes égyptiens. L’un des plus sérieux « concurrent » de Champollion.

(7)  Sur le plafond du temple d’Esna se trouve la représentation des signes du zodiaque.

(8)  Julius Firmicus Maternus : écrivain antique du 4ème siècle après JC. Vers 330, il a compilé un ouvrage en huit livres sur l’astrologie.

(9) Frédéric Cailliaud (1787-1869) : voyageur s’intéressant aux sciences naturelles. Il parcourt l’Égypte au début du 19ème siècle et il est un des premiers à aller jusqu’à la seconde cataracte.

(10) Probablement cartouche du roi Sesostris de la période du Moyen Empire.

(11)  Il s’agit de la collection du consul anglais en Égypte Henry Salt qui s’est constitué plusieurs collections d’antiquités égyptiennes. La seconde collection fut mise en vente à Livourne chez les banquiers Santoni (Salt était marié à leur sœur). Champollion fit acheter cette collection en 1826 par le gouvernement français.

(12)  La stèle dont parle Champollion est la stèle de Néchao II découverte au Serapeum et conservée actuellement au musée du Louvre sous le numéro d’inventaire N 404.   (https://collections.louvre.fr/ark:/53355/cl010010157)

(13)  Il s’agit de l’objet N 636 conservé au Louvre. (https://collections.louvre.fr/en/ark:/53355/cl010005956)

 

 

Bibliographie :

. Champollion, une vie de lumières, Jean Lacouture, Grasset, 1988

. La moisson des Dieux, Jean-Jacques Fiechter, Julliard, 1994

. L’Égypte ancienne au Louvre, Andreux, Rutschowscaya, Ziegler, Hachette, 1997

. Notice descriptive des Monuments égyptiens du Musée Charles X, Champollion.

. Champollion, le savant déchiffré, Alain Faure, Fayard, 2020.

. La collection Salt arrive à Paris. Marie Grillot.

. François Artaud et les frères Champollion, Karine Madrigal.

 

 

 

 

 

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