Jean COCTEAU (1889.1963)

Deux feuillets tapuscrits avec corrections et annotations autographes.

Deux pages in-4°. Slnd.

« J’ai demandé qu’on écrive sur ma tombe : « Enfin, je vis ». »

Intéressant texte de Cocteau évoquant successivement la célébrité et la postérité, Sartre et l’engagement, et Paris.

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« Max Jacob disait : « il ne faut pas être connu pour ce que l’on fait ». Parole profonde. La célébrité qu’on nous accorde vient de mille bruits faux, de rumeurs confuses, de tics qu’on nous prête et qui ne correspondent pas avec notre personne. Mais cela nous fait prendre pied, cela nous accroche. Ensuite, ces motifs superficiels de célébrité tomberont d’eux-mêmes et l’œuvre commencera de vivre à notre place. C’est la raison pour laquelle j’ai demandé qu’on écrive sur ma tombe : « Enfin, je vis ». Même si je me trompe, j’ai raison. Car je vivrai en une quantité d’êtres épars avec la même force qui m’a fait vivre dans quelques-uns que j’aime et qui me connaissent. J’ajoute que l’œuvre nous mange et veut vivre à sa guise et sans nous.

Sur la thérapie de l’engagement. Sartre sait ce que j’en pense. Mon engagement est de me rendre jusqu’à l’extrémité la plus inconfortable de moi-même. Si je m’engageais au dehors, soit je trahirais les exigences de mon engagement interne, soit celles de mon engagement externe. L’homme libre passe à notre époque pour un lâche alors qu’il ne se réserve aucune place où ne peuvent l’atteindre les coups. Il est lapidé de toutes parts.

Paris est la seule capitale qui parle d’elle sans arrêt, se chante et se loue : Paris, c’est ceci, Paris c’est cela, Paris merveille du monde. Ainsi s’expriment ces Messieurs et Dames du Music-Hall et de la Radio. Ainsi une capitale qui somnole cherche à se convaincre et à convaincre les autres. C’est, hélas, notre seule publicité. A New-York, par exemple, on chante dans les restaurants toutes ces absurdités sur les bords de la Seine, et de la Marne (…) J’ai vu des salles d’Égypte pleurnicher à les entendre. Les paroliers ont inventé de toutes pièces une France de Nogent qui n’existe que par des rimes et des rengaines. Aussitôt qu’une œuvre honore la France par un rythme inverse, on la défenestre et la couvre de boue. Ce fut le sort de l’œuvre de Marcel Proust à l’origine. C’est d’ailleurs le sort de tout ce qui constitue notre propagande profonde. »

 

 

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