Jacques FRANÇOIS - Émouvante lettre durant la guerre.

Lettre autographe signée à Olga Barbezat.

Très émouvante lettre du comédien contant avec fatalisme sa situation personnelle à la fin de la deuxième guerre mondiale.

« J’ai touché le fond, que j’ai dépassé les limites de la déception et de la tristesse, j’ai été trop triste pour être encore triste, je me fous de tout ! »

Vendu

Jacques FRANÇOIS (1920.2003)

Lettre autographe signée à Olga Barbezat.

Quatre pages in-4°.  26 décembre 1944

« J’ai touché le fond, que j’ai dépassé les limites de la déception et de la tristesse, j’ai été trop triste pour être encore triste, je me fous de tout ! »

Très émouvante lettre du comédien français contant avec fatalisme sa situation personnelle à la fin de la deuxième guerre mondiale.

« Mon Olga, Depuis tant et tant de jours et de mois que je n’ai pas entendu parler de vous et que vous n’avez plus entendu parler de moi je ne sais plus que vous dire, par quoi commencer, ce qui peut vous intéresser, ce qui a de l’importance et ce qui n’en a pas. Je vais tâcher de vous faire un petit résumé de ce qui m’est arrivé depuis la dernière lettre que je vous ai envoyée, je crois, de la Clef des Champs, quelques temps avant l’arrivée des troupes américaines dans notre région. Nous avons vu partir un beau jour les troupes allemandes et une heure après les américaines sont arrivées c’était environ une semaine et demie après l’arrivée des Alliés à Paris. Il n’y a pas eu de bataille chez nous et y en aurait-il eu une que ça m’eut été bien indifférent. Après une semaine d’hésitation j’ai décidé de rentrer à Paris pour voir ce qui advenait du théâtre et du cinéma et s’il y avait une possibilité pour moi de retravailler. Après sérieuse enquête j’ai vu que seuls avaient quelques chances de jouer le « héros » de la résistance dont je n’étais pas. Il paraît que Marchal, Dacquemine et autres se sont couverts de gloire en faisant de prisonniers allemands, préalablement désarmés par les Américains. Je veux bien le croire, mais outre ces difficultés à trouver quelque chose à faire, l’atmosphère générale suscitait en moi un tel écœurement que j’ai rapidement décidé de filer loin de tout cela par n’importe quel moyen. Les Français n’étaient plus tolérables pour moi et j’ai décidé de trouver refuge auprès des forces d’invasion. Néanmoins j’ai commencé par passer quinze jours à me battre les flancs à l’hôtel du Beaujolais où je m’étais installé. Après quoi grâce à l’américanisme de ma mère et quelques relations j’ai réussi à m’engager dans l’Armée Américaine, du moins dans l’élément français incorporé à l’armée américaine pour le rapatriement des déportés et des prisonniers de guerre. Un décret du ministre de la Défense Nationale m’a bombardé Lieutenant, je me suis fait faire un magnifique uniforme (sans, croyez le bien, perdre une seconde mon sens de l’humour) et j’ai été envoyé en Champagne dans un camp américain d’entrainement où j’ai passé un peu plus d’un mois. Après quoi j’ai été jugé plein de qualités et j’ai été détaché auprès de l’Etat Major de la 7éme Armée Américaine pour m’occuper des questions dont je vous ai dit un mot tout à l’heure. Le résultat est atteint, je suis uniquement en contact avec ces étrangers, je n’ai pratiquement pas de contact avec les français sinon pour leur donner des directives et non en recevoir. J’ai un travail énorme, intéressant, qui ne me laisse pas une minute de répit, rempli de responsabilités, je sui traité avec d’immenses égards par tout le monde, tout le monde ayant besoin de moi. Je suis installé dans une ville d’Alsace où le bruit du canon est ininterrompu. Je monte en ligne tous les jours et le soir je reviens ici, j’ai un logement dans la plus belle maison, chez des gens qui ne savent comment m’être agréables, j’ai chaud, j’ai de l’eau bouillante, une salle de bain, une voiture, je fume beaucoup et je suis à chaque instant ravi d’être si loin de tout. Je ne reçois jamais de lettres, j’en envoie rarement, seulement à ma mère, à mon camarade Jean Denis Maillart et à vous pour la première fois. Tout ceci mon Olga vous montre, je pense, à peu près où j’en suis. Vous devinez vous qui me connaissez, que j’ai touché le fond, que j’ai dépassé les limites de la déception et de la tristesse, j’ai été trop triste pour être encore triste, je me fous de tout !  Je ne peux plus pour retrouver une raison d’exister que me mettre à croire aux miracles et malheureusement je ne suis pas très croyant. Il m’est impossible dans une lettre de vous dire ce qui m’est advenu, d’ailleurs vous l’avez su par les lettres que je vous ai fait parvenir de la campagne. Tout ceci est ruiné et profondément j’ai la conviction que c’est définitif   (ma seule consolation est de savoir que si l’être que j’aime est en vie sa souffrance est égale à la mienne, mais est-ce une consolation ?) alors pour éviter d’avoir le temps de trop penser à moi, pour éviter d’avoir à faire des projets, à tracer des plans d’activité, pour supprimer de ma vie les obligations sociables, professionnelles, mondaines, ….  je sais que rien ne pourra me distraire, j’ai choisi la seule route où ce souvenir ne peut pas être gâché ou sali par des contacts qui ou bien me rendraient fou ou bien me distrairaient et une heure après me retrouveraient prêt à en finir définitivement, alors j’ai choisi une espèce de fausse Légion Etrangère. C’était n’est-ce pas la meilleure solution ? Je suis embrigadé là dedans jusqu’à la fin de la guerre et même sans doute un peu après, ce travail pourrait être passionnant si je pouvais me passionner, c’est hélas impossible, mais cependant à force de passivité, je finis par être capable d’une activité intense et on est ici enthousiasmé par mon ardeur, par les résultats que j’obtiens, par mon sens de l’initiative, par mon autorité et moi, Olga Darling, je souris doucement. Voilà bien de mots pour parler de moi. J’aimerais tant savoir ce que vous devenez. Prenez votre grand courage à deux mains, écrivez-moi une longue lettre et sachez bien mon Olga que je suis votre ami pour toujours, que je donnerais n’importe quoi pour vous voir, que je vous aime et que je suis sans arrêt resté votre frère. Bonne année à Marc et à vous. Jacques François »

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