Importante lettre de Victor HUGO sur la parution de La Légende des siècles.

« J’avoue que j’aurais autant aimé n’être « attaqué » que par mes ennemis ordinaires, et puisque j’ai besoin d’être « vaillamment défendu », conserver mes amis. »

6.500

Victor HUGO (1802.1885)

Lettre autographe à Noël Parfait, à Bruxelles.   

Quatre pages in-8°, très denses.

Adresse autographe, timbre et oblitérations postales.

Hauteville house. 9 octobre [1859]

 

« J’avoue que j’aurais autant aimé n’être « attaqué » que par mes ennemis ordinaires,

et puisque j’ai besoin d’être « vaillamment défendu », conserver mes amis. »

 

Importante lettre du poète relative à la parution de La Légende des siècles perturbée par la discorde entre son éditeur Jules Hetzel et son fidèle Paul Meurice qui « La veille de la mise en vente, à propos de douze exemplaires à donner ce soir ou demain matin, mon bras droit et mon bras gauche ont jugé à propos de se brouiller. »

Victor Hugo est en outre inquiet de la disparition des trente-trois envois autographes qu’il avait rédigés et confiés à Meurice : « Mes dites pages autographes tourbillonnent dans l’azur d’un oubli profond, et qu’au lieu de trente-trois amis je ne suis pas très loin en ce moment d’avoir trente-trois ennemis. » et se désole de la situation promotionnelle désormais délicate et ubuesque créée par la bouderie de Meurice et les inconséquences de Hetzel. 

La Première série La Légende des siècles parut le 28 septembre 1859 à Bruxelles.

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« O ingrat qui m’appelez ingrat ! le petit bout de lettre de vous que m’envoie notre ami [Jules Hetzel] de Spa m’aurait contristé si je ne recevais presque en même temps votre lettre du 6 8bre [6 octobre], une des meilleures et des plus charmantes qui soient sorties de votre bon et noble cœur.

Sachez seulement que vous vous êtes défendu de ce dont vous n’étiez pas accusé. Loin de là, demandez mes lettres à notre ami, et voyez comment le vaste ingrat y parle de vous. – jamais vous n’avez été mêlé à ce grotesque petit nuage des virgules belges. – mais laissons cela, et ne nous occupons pas plus longtemps de ce microscopique détail dont vous pourrez du reste voir le fond quand il vous plaira en lisant mes lettres à notre ami.

Parlons de l’affaire elle-même à laquelle vous consentez de prendre un si cordial et si utile intérêt. Tout va bien, et c’est bien. Mais voici pourtant l’incident, ou l’anicroche, d’aujourd’hui : Vous savez peut être le commencement de l’aventure. La veille de la mise en vente, à propos de douze exemplaires à donner ce soir ou demain matin, mon bras droit et mon bras gauche ont jugé à propos de se brouiller ; au moment du lancement, le capitaine et le pilote se sont tournés le dos, plantant tout là, laissant le pauvre navire s’en tirer comme il pouvait. M. Hetzel a donné son congé à M. Paul Meurice, lequel, excellent et admirable ami d’ailleurs, a perdu momentanément le sens de la réalité au point de se croire congédié par moi-même, et a tout lâché dans les mains de (l’éditeur) !

Or, voici le grave et le fâcheux : – j’avais transmis et confié à Paul Meurice trente-trois premières pages signées de moi destinées à être placées en tête de trente-trois exemplaires que je le priais d’envoyer en mon nom à mes amis, dont quelques-uns très importants dans la presse et dans les lettres. Meurice, irrité, a remis les trente-trois pages a notre ami, à « l’éditeur », en lui disant : Eh bien, puisque vous me destituez, chargez-vous de la commission. Envoyez-cela vous même – je ne m’en mêle plus. 

Averti de la chose par lettre de Meurice, j’ai tremblé. J’ai immédiatement écrit à notre ami pour lui demander s’il avait fait les envois, s’il les avait faits sûrs, de quelle façon il les avait faits. Il m’a répondu de Spa ! Il m’a répondu une lettre charmante, mais où, bien entendu, il ne me dit pas un mot de la chose que je lui demande. Sur ce, je reçois une lettre d’un des trente-trois amis, journaliste de talent et d’influence, qui m’écrit, sans rancune, que n’ayant pas reçu mon livre, il l’a acheté et payé 15 francs. Trouvez bon, cher Parfait, que je ne vous le nomme pas. Du reste, dans le flot de lettres en prose et en vers qui m’arrive en ce moment, pas une lettre d’aucun des trente-deux autres. Que dois-je en conclure ? que la commission n’a pas été faite, que mes dites pages autographes tourbillonnent dans l’azur d’un oubli profond, et qu’au lieu de trente-trois amis je ne suis pas très loin en ce moment d’avoir trente-trois ennemis. Car, hélas, c’est un peu comme cela qu’est fait le bon bipède humain.

Je n’ai jamais remarqué que faire payer 15 francs à un journaliste pour un livre auquel on veut L’intéresser fut un excellent moyen de chauffer son enthousiasme. – je comprends alors pourquoi les réclames payées par mes éditeurs (presse du 5 8bre) ont la bonté de dire au public que ce livre sera beaucoup attaqué. Ordinairement on ne paie pas pour dire ces choses-là. Mais cette fois je le comprends. Seulement j’avoue que j’aurais autant aimé n’être « attaqué » que par mes ennemis ordinaires, et puisque j’ai besoin d’être « vaillamment défendu », conserver mes amis.

Déjà on m’annonce que Janin, n’ayant rien reçu de ma part, me prend, lui aussi, pour un vaste ingrat, et passe de la bonne volonté a un autre sentiment. – tout cela, vous le voyez, cher Parfait, n’est pas sans quelque gravité. Maintenant, que faire ? écrire à Spa ? je n’espère plus de réponse précise de notre ami. écrire à Paris ? Meurice me fait l’effet d’être outré, lui qui m’écrivait dix fois par semaine. Voilà onze jours qu’il ne m’a donné signe de vie. Il faut que la blessure soit profonde, pour qu’il en souffre au point de me bouder moi-même, moi l’innocent, et, en définitive, le patient.

Je me tourne vers vous, car vous vous rappelez mes vues, j’ai Meurice à Paris, j’ai Parfait à Bruxelles. une de mes deux providences me manquant, je m’adresse à l’autre. envoyez cette lettre-ci à Spa ? peut-être notre ami vous répondra-t-il à vous ? peut-être vous dira-t-il ce que sont devenues les 33 pages signées de moi ? peut-être trouvera-t-il moyen de me raccommoder (au profit et bénéfice du succès) avec tous mes amis plus ou moins cassés. Je ne connais pas d’homme plus gracieux, plus noble, et meilleur que notre ami ; mais je n’en connais pas de plus léger. Va-t-il encore m’appeler ingrat ? je remets la chose en vos excellentes mains. En même temps qu’à vous je me décide à écrire à Vacquerie qui est à Paris.

Tout ce que vous me dites de vous est admirablement dit et pensé. À Paris, à Bruxelles, en exil, en France, vous serez toujours dans la dignité. Vous serez toujours vous. Prenez donc conseil de votre meilleure situation possible. Voilà tout. – j’attends les articles que vous m’annoncez. – j’approuve la réimpression belge a 2000. – quand on réimprimera en France, m’avertir. j’enverrais un erratum nécessaire pour cette réimpression. répondez-moi : ex imo. 

Je reviens à notre ami, qu’il ne se méprenne pas sur le sens de cette lettre. Je ne voudrais pas, certes, l’affliger ; je veux seulement l’occuper, fixer son attention.  À Dieu ne plaise que je fasse de la peine à un de ceux de ce monde que j’aime le mieux et que j’estime le plus, à un homme vaillant et charmant, à un brave cœur, à un brave esprit, et de la peine au milieu d’une joie, au milieu d’un succès qui nous est commun ! de la peine à lui qui est autant mon frère comme écrivain que mon ami comme éditeur ! non ! non ! non ! je finis en l’embrassant de tout mon cœur. »

 

 

 

 

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