François MITTERRAND (1916.1996)

Lettre autographe signée à Marie-Louise Terrasse, dite Catherine Langeais.

Quatre pages petit in 4°. Mouillure sur le 1er feuillet dont Mitterrand s’excuse.

[Fort d’Ivry]. 5 janvier 1939.

« Et puis, ma toute petite fille, vous savez bien que j’ai ce gros défaut de n’être pas docile. »

Mitterrand désespéré de ne point voir son amour.

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« Ma Marie-Louise bien-aimée, Ce mauvais rhume que je traîne depuis quelques jours est de plus en plus exigeant. Il ne me laisse pas de trêve. Et comme le physique atteint le moral, je suis aujourd’hui un peu cafardeux. Aussi est-il insupportable d’être séparé de vous. Je n’arrive pas à être vraiment gai loin de vous. Si cela dure, ce que j’espère et crois, toute la vie, cela vous promet le désagrément constant de ma présence. Je vous disais “je passerai mon temps à vous regarder”, je ne mentais qu’à moitié : l’autre moitié du temps, je fermerai les yeux et savourerai votre présence.

Vous avez dû me trouver fort tyrannique l’autre jour ! Je ne vous ai obéi en rien ! Ma chérie, ne croyez pas qu’il en sera ainsi pour bien des choses, je sais que vous avez et aurez raison, et je tâcherai de vous donner tout ce que vous me demanderez : notre amour suffira et nous aidera à peser le bon et le mauvais de chaque chose. Et puis, ma toute petite fille, vous savez bien que j’ai ce gros défaut de n’être pas docile. Dois-je tenter de m’en corriger ?

Hier soir, j’ai écrit à votre mère. Je lui ai dit que j’irai la voir sans doute mercredi. Malheureusement, le quartier libre de demain est problématique. Je voudrais pourtant bien mettre la situation au clair le plus tôt possible. De toutes façons, je pourrai sortir à partir de 17h15, comme d’habitude. Je compte donc vous voir certainement comme convenu, 18h-18h15. Ma bien-aimée, il m’est impossible de demeurer sans vous voir. Donc à mercredi. J’attends ce moment où je serai enfin heureux. À votre mère, quand je la verrai, je dirai ce que souvent je vous ai confié : que je sais qu’il est de son devoir de s’inquiéter de vous, que ses craintes sont naturelles, que je ne demande qu’à m’expliquer : je vous aime et veux avoir le droit de vous voir. Votre mère m’a écrit : “nous nous entendrons très bien”. Je le désire fortement, mais jamais je n’accepterai de cesser nos rencontres : ce serait nier mon amour.

Ma Marie-Louise, ce matin le courrier a été chiche pour moi : rien, pas d’enveloppe bleue tant attendue. Avez-vous été très occupée chez vous ? Vous savez que j’ai besoin de vous et qu’une journée sans vous est une journée manquée. Ma très chérie, j’espère bien avoir demain le témoignage de votre amour : il m’est nécessaire.

Le tête-à-tête de dimanche ne vous a fait courir aucun danger. Je vous aime tellement ma chérie, que la seule pensée de choisir même pour un instant une autre que vous ne peut me venir à l’esprit. Et vous êtes ma petite fiancée que j’adore. Rien ne compte pour moi hors de vous.

Je continue cette lettre à la cantine : devant moi un verre de vin blanc ! Ne croyez pas que je descends la pente de l’ivrognerie ! Mais je suis vraiment fatigué et j’ai besoin de me soutenir, d’autant plus que j’ai dû porter sur mes épaule un affût de mitrailleuse pendant une bonne partie de la matinée : cela ne m’a pas mis en état très frais !

Ma petite Zou chérie, vite donnez-moi de vos nouvelles : sinon je vais croire que le seul jeune homme de l’arbre de Noël est intervenu, non sans succès… Ma toute chérie, je termine cette lettre, à demain. Je suis malheureux sans vous. Dites-moi vite que vous m’aimez : c’est désormais ma raison de vivre. Et quand je pense aux heures si longues qui vont s’intercaler entre celle-ci où je vous écris et celle où j’entendrai et lirai votre amour, je ne puis m’empêcher d’être terriblement triste. Ma très chérie, je t’aime, c’est tout. Non ce n’est pas tout : je t’adore. François. P.S. Zut, un maladroit fait tomber de l’eau sur ma lettre, pardonnez-moi ! Fr. »

 

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Catherine Langeais (1923.1998), de son vrai nom Marie-Louise Terrasse, rencontre le 28 janvier 1938, lors du bal de l’École normale supérieure, François Mitterrand avec qui, bien qu’âgée de 15 ans seulement, elle se fiance. Mitterrand écrira plus de 300 lettres à celle qu’il surnommait Zou.

 

 

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