François MITTERRAND (1916.1996)

Lettre autographe signée à Marie-Louise Terrasse, dite Catherine Langeais.

Deux pages in 4°.  [Paris]. 26 octobre 1938.

 

« Ma voix s’éclaircit, mon cerveau se libère, mon génie s’éteint, et je redeviens ce numéro créé dans un but inconnu. »

Mitterrand, ses lectures de Saint Simon et d’Auguste Comte, et son amour éperdu.

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« Ma très chérie, Pendant que vous n’êtes qu’une petite fille au nez rouge et aux yeux brouillés, je sors d’un déjeuner plantureux que des amis, de passage, m’ont accordé. Inégalité des conditions ! Injustice du plan divin ! Votre grippe s’installe en pays conquis et vous cloue dans une chambre, mon rhume se fait délicat, prévenant, et me laisse en liberté que je souhaite non provisoire. Ma voix s’éclaircit, mon cerveau se libère, mon génie s’éteint, et je redeviens ce numéro créé dans un but inconnu, ce numéro qu’on aurait peine à distinguer de la masse désespérément anonyme.

Ma Marie-Louise que j’aime même grippée (quel prodige !), quel plaisir de vous retrouver (faute de mieux) pour ces quelques moments d’écriture ! Je constate avec orgueil que je suis capable de vous aimer au moins trois jours de suite sans faiblir ! Et pourtant je me serais parfaitement passé de l’expérience ! Dépêchez-vous, ma chérie, d’expédier cette maladie qui n’a pas même la vanité (je l’espère) d’être grave. J’ai hâte de vous dire à haute voix que je vous aime. Trois, quatre jours sans vous : je n’imagine pas l’éternité plus longue.

Hier, j’ai traîné, la tête brumeuse et le cœur sans but. Auguste Comte se faisait rébarbatif ; la dévaluation devenait politique déplorable ; Saint-Simon perdait tout intérêt.

Je reprends cette lettre au Luxembourg ; Claudie est assise sur le même banc que moi, à ma droite, et très sage. Le brouillard a envahi les allées et les châtaigniers roux s’emplissent de mélancolie. Moi, par extraordinaire, je pense à vous, et je pense que je vous aime, c’est en somme une façon d’en revenir au même point. Un balayeur vient nous enfumer en chassant les feuilles tombées ; pourquoi refuse-t-on le droit aux feuilles de mourir où elles veulent ? Je ne veux pas faire attendre Claudie. Je vais m’arrêter. Je m’ennuie de vous. Je n’attends que vous. Il ne vous reste donc qu’une chose à faire : guérir et venir sans tarder à moi. Point de vue égoïste : vous voir est ma plus grande joie. Alors, vous comprenez mon impatience. Ma petite fille très chérie, vous ai-je assez dit que je vous aime ? En tout cas, je veux que cette lettre vous apporte un nouveau témoignage de mon amour. François.

Demain, j’espère vous voir. Mais ne soyez pas imprudente, si vous êtes retenue chez vous : je compte sur une lettre et pour un rendez-vous que je suppose prochain, vous pouvez toujours me téléphoner (entre 10h et 14h). Ma chérie, je vous adore. »

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Catherine Langeais (1923.1998), de son vrai nom Marie-Louise Terrasse, rencontre le 28 janvier 1938, lors du bal de l’École normale supérieure, François Mitterrand avec qui, bien qu’âgée de 15 ans seulement, elle se fiance. Mitterrand écrira plus de 300 lettres à celle qu’il surnommait Zou.

 

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