Émile DURKHEIM dévasté par la mort de son fils en 1916.
« Je sais du moins que mon fils n’a pas souffert. Serait-il possible de connaître le nom de la personne qui a vu elle-même mon fils ? »
3.800€
« Je sais du moins que mon fils n’a pas souffert. Serait-il possible de connaître le nom de la personne qui a vu elle-même mon fils ? »
3.800€
Émile DURKHEIM (1858.1917)
Ensemble de trois lettres et une carte autographes signées à René Berthelot.
Six pages in-8° et une page ½ in-12° sur papiers à son adresse.
Enveloppes autographes timbrées et oblitérées.
[Paris et Cabourg] 4 janvier, 30 mars, 10 juillet et 21 août 1916.
« Je sais du moins que mon fils n’a pas souffert. »
Tragique et émouvante correspondance du sociologue français inquiet de la disparition de son fils André Durkheim, et sollicitant l’aide de son ami Berthelot. Ayant appris en février 1916 la mort d’André sur le front bulgare, Durkheim, dévasté de chagrin, lutte avec stoïcisme contre une existence désormais dénuée de tout sens.
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Lettre n°1. 4 janvier 1916.
« Monsieur et cher camarade, Brunschvicg, qui sort de chez moi, m’apprend que vous êtes chargé, au ministère des affaires étrangères, du service concernant nos prisonniers dans les différents pays enclavés. Je viens donc vous demander si vous pouvez me venir en aide dans les pénibles circonstances où je suis.
Mon fils, André Durkheim, jeune agrégé de philosophie, sorti de l’école juste au moment de la déclaration de guerre, faisait partie de notre corps d’Orient. Le 11 décembre, dans la nuit, alors que son régiment se retirait à travers ces pays difficiles, il a disparu : il s’est égaré dans le brouillard qui était très intense. Son colonel m’écrit qu’il a « dû rester aux mains de l’ennemi », c’est à dire des Bulgares qui pressaient de près son régiment.
Me serait-il possible d’obtenir par votre intermédiaire des renseignements ? Si vous jugez utile que j’aille m’entretenir avec vous de la question, je m’empresserai de répondre à votre premier appel (Téléphone, Saxe, 16.37).
En attendant, voici les indications signalétiques de mon fils : André Durkheim, Sous-Lieutenant au 45eme d’Infanterie, 9e Cie, corps expéditionnaire d’Orient. Disparu le 11 décembre, dans la nuit. Aucune raison de croire qu’il ait été blessé au moment de sa disparition. Je vous remercie par avance, mon cher camarade, et vous prie de croire à mes plus dévoués sentiments. E. Durkheim »
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Lettre (carte) n°2. 30 mars 1916.
« Mon cher camarade, Un télégramme de M. Filipesco m’avait prévenu dès le 24 février. Une lettre de M. [?] me faisait prévoir que les recherches entreprises par M. [?] aboutiraient au résultat. Depuis ces mois, je n’ai plus d’espoirs d’aucune sorte. Mais votre lettre m’apporte des détails précieux. Je sais du moins que mon fils n’a pas souffert. Serait-il possible de connaître le nom de la personne qui a vu elle-même mon fils ? Je vous remercie du concours que vous avez bien voulu me prêter et je vous prie de croire à mes bien dévoués sentiments. E. Durkheim »
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Lettre n°3. 10 juillet 1916.
« Mon cher camarade, Vous serait-il possible de vous procurer des renseignements sur le Sergent Moïse Merriaux du 45eme d’Infanterie, 9e Cie, blessé et fait prisonnier le 11 décembre 1911, à la bataille de Smokvica, au cours de la retraite sur Salonique ?
Ce sous-officier appartenait à la même compagnie que mon fils. Son frère, artilleur à l’armée d’Orient, vient de m’écrire : comme sa famille est à Lille personne ne peut l’aider. Les démarches qu’il a faites jusqu’à présent pour avoir des nouvelles de son frère n’ont pas abouti.
Il me demande de lui prêter mon concours et c’est pourquoi je viens vous demander les vôtres. Vous comprendrez aisément que je me fasse un devoir de m’intéresser à quelqu’un qui a connu et aimé mon fils et je vous remercie par avance de l’aide que, de votre côté, vous voudrez bien m’apporter. Croyez, je vous prie, mon cher camarade à mes bien dévoués sentiments. E. Durkheim »
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Lettre n°4. 21 août 1916.
« Mon cher camarade, Je vous remercie de votre lettre et du renseignement qu’elle contient. Déjà M. Cantacuzène de Bucarest m’avait fait savoir que, après la guerre, je pourrais m’adresser à M. Batoloff. Mais, puisque vous m’offrez ce moyen de l’interroger tout de suite, il me paraît préférable de ne pas attendre jusque-là. Je vous envoie donc ci-inclus une lettre destinée à M. Batoloff.
Je vous serai obligé de bien vouloir présenter tous mes remerciements à M. de Panafieu. Je suis, depuis quelques jours et pour une quinzaine encore, absent de Paris. Mais dès que je serai rentré, j’irai le remercier moi-même. Merci à nouveau pour le concours que vous m’avez prêté en ces tristes circonstances et croyez, mon cher camarade, à mes bien dévoués sentiments. E. Durkheim.
Je vous remercie également d’avoir transmis la demande concernant le sergent Merriaux. Son frère qui est toujours sans nouvelles, m’écrit des lettres pitoyables. Ce silence me paraît de bien mauvais augure. Jusqu’aux premiers jours de septembre, je suis à Cabourg, Villa des Tobys. »
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Pris sous le feu ennemi, André Durkheim – jeune normalien – fut mortellement blessé à la suite de la retraite de son régiment sur le front slave. Les autorités militaires signalèrent la disparition d’un sous-lieutenant appelé « Durkhel » dès le 5 décembre 1915. Puis, d’autres documents indiquèrent ensuite la mort d’un « Durkhem » tout en demandant d’avoir davantage de renseignements sur le défunt. Ces mêmes documents furent ensuite corrigés avec les bonnes informations : « Durkheim mort le 18 décembre 1915 à la suite de ses blessures ».
Après la mort de son fils, Émile Durkheim s’isole peu à peu, touché par le deuil et le désespoir. Incapable de consoler sa douleur, Durkheim s’éteint, à cinquante-neuf ans, à Fontainebleau le 15 novembre 1917. « Il meurt de la mort de son fils » dira-t-on alors.
Bibliographie :
. Cinq deuils de guerre, 1914-1918. S. Audouin-Rouzeau. Agnès Viénot Editions
. Revue de Métaphysique et de Morale T. 26, No. 2 (Mars-Avril 1919), pp. 181-198.
. E. Durkheim, Lettres à Marcel Mauss. P. Besnard et M. Fournier – PUF, 1998.
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