Paul GAUGUIN (1848-1903)
Lettre autographe signée à un collectionneur.
Une page ½ in-8°. Slnd [Paris. 1er ou 2 novembre 1893]
« L’exposition ouvrira le 9. »
Gauguin de retour de Tahiti lance son exposition chez Durand-Ruel.
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« Monsieur, J’ai reçu aujourd’hui la visite de monsieur Thaülow [Fritz Thaulow, son beau-frère] qui m’a remis une carte de vous. Vous voudriez – dit-il voir mon exposition avant la lettre. Cela devient assez difficile parce que je dois les porter [ses toiles] mardi chez Durand-Ruel et cette fin de semaine je ne suis pas certain d’être à la maison. Mais lundi je serai toute la journée chez moi 8 rue de la Grande Chaumière – L’exposition ouvrira le 9. Agréez monsieur l’assurance de mes sentiments distingués. Paul Gauguin. »
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Le 1er avril 1891, Gauguin quitte Marseille à bord du paquebot L’Océanien en direction de Tahiti. Dans la nuit du 8 au 9 juin, après plus de deux mois de voyage et quelques escales, le peintre aperçoit enfin Papeete où il débarque à l’aube du 9 juin. Gauguin a rêvé de cette terre du bout du monde. Il nourrit de grands espoirs pour sa peinture espérant « vivre d’extase, de calme et d’art ».
Cependant l’acclimatation à Tahiti, à sa lumière, à ses couleurs, n’est pas aussi aisée qu’il l’avait initialement escompté. « Voilà vingt jours que je suis arrivé, j’ai déjà vu tant de nouveau que je suis tout troublé. Il me faudra encore quelque temps pour faire un bon tableau. », écrit-il à son épouse Mette.
Le temps passe ; Gauguin s’acclimate, explore l’île, peint sans cesse, et se marie à la jeune Teha’amana qui deviendra sa muse. La créativité du peintre foisonne désormais : Chemin à Papeete, Vahine no te tiare, Aha oe feii, Merahi metua no Tehamana… sont autant d’absolus chefs-d’œuvre qu’il expédie à Paris à son ami Daniel de Monfreid.
Après deux années riches de sentiments divers, d’une vie de bohème et d’un travail passionné, Gauguin rentre finalement en France où il arrive début août 1893. L’artiste est fauché. Désireux d’organiser au plus vite une exposition de ses œuvres tahitiennes, il contacte – avec l’appui de Degas – le marchand Paul Durand-Ruel qui accepte de prêter ses locaux de la rue Laffitte durant un mois. Le vernissage est prévu pour le 4 novembre.
Gauguin se démène et imagine déjà un vif succès, l’argent coulant à flot, et la protection d’un marchand parisien ; ses œuvres tahitiennes sont sublimes. Cependant, il commet une erreur immense : il fixe lui-même les prix de ses œuvres à des niveaux très élevés – entre 2 et 3000 francs, soit près de dix fois les prix pratiqués avant son départ– prétendant faire monter sa cote.
Le vernissage fut repoussé au 9 novembre. Le tout Paris des arts fut convié : journalistes, marchands, critiques, collectionneurs, hommes de lettres, et les peintres Pissarro, Monet, Renoir et Degas.
Gauguin expose quarante-deux toiles ; autant de chefs d’œuvres. Il est anxieux et joue gros. Le soir du vernissage, la galerie Durand-Ruel est pleine mais Gauguin comprend vite que la partie est perdue et qu’il ne vendrait rien ou presque. Charles Morice raconte : « Dans la vaste galerie où flambait aux murs sa vision peinte, il regardait le public, il écoutait. Bientôt il n’eut plus de doute : on ne comprenait pas. C’était la séparation définitive entre Paris et lui, tous ses grands projets étaient ruinés, et, blessure peut-être pour cet orgueilleux, la plus cruelle de toutes, il devait s’avouer qu’il avait mal combiné ses plans. »
Incompréhension et prix trop élevés, l’exposition chez Durand-Ruel est un désastre financier. Seules huit toiles furent vendues. La presse se montra néanmoins, dans l’ensemble, très enthousiaste quant au travail du peintre : Mallarmé, Cardon, Darien et Mirbeau furent unanimes, saluant l’œuvre d’un grand maître.
Dix-huit mois plus tard, Gauguin repart pour son deuxième et dernier voyage sur les terres du Pacifique. Le 9 septembre 1895, il rejoint Papeete, puis Bora Bora. A bout de ressources, affligé, il apprend la mort de sa fille par une lettre de son épouse Mette. Début décembre, frappé d’un problème cardiaque, Gauguin entre à l’hôpital. Il travaille néanmoins à son vaste tableau : D’où venons-nous ? Que sommes-nous ? Où allons-nous ?
Il quitte Tahiti pour les Marquises en 1901 y vivant ses derniers mois. C’est en ces terres marquisiennes qu’il repose aujourd’hui, loin des galeries parisiennes.
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Bibliographie :
. Gauguin à Tahiti et aux îles Marquises. Benêt Danielsson, Editions du Pacifique.
. Gauguin. David Haziot, Editions Fayard. 2017.
. Lettres de Gauguin à Georges-Daniel de Monfreid. (Crès, 1918)