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ALAIN - Manuscrit autographe signé - La Guerre.

« Il faudra tuer tous les hommes valides et cette idée mettra fin au jeu de la guerre. »

Vendu

Emile Auguste Chartier, dit ALAIN (1868.1951)

Manuscrit autographe signé – Propos d’un Normand.

Deux pages in-8°. Slnd.

« Il faudra tuer tous les hommes valides et cette idée mettra fin au jeu de la guerre. »

Intéressant et dense manuscrit du philosophe analysant les jeux de la guerre.

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« La guerre est toujours un jeu ; il y a des règles d’honneur et l’on ose même dire des règles d’ humanité dans le massacre. Cela se comprend si l’on se reporte au temps où le métier des armes était le plus honoré des métiers. Les défenseurs, même d’ennemi à ennemi, s’honoraient les uns les autres bien plus qu’il n’estimaient la foule méprisable des artisans, de quelque pays qu’elle fût. On lit dans les journaux que le dirigeable allemand fut relâché sur la déclaration d’un officier allemand, qui jura sur son honneur qu’il s’était seulement égaré. Cette confiance n’étonne personne ; elle me plaît ; mais en même temps elle me fait découvrir dans la guerre une espèce de jeu de princes, tout à fait analogue au duel. Et cela irait tout seul si le peuple, avant, pendant et après la guerre, n’en supportait presque tout le poids, sans en retirer aucun avantage.

La première lecture qui m’instruisît là-dessus fut un almanach, illustré de casques pointus, où l’on racontait, non sans imaginer un peu trop, l’invasion et la défaite. J’y trouvai la lettre de Napoléon III à Sedan, lorsqu’il rend son épée. « N’ayant pu mourir au milieu de mes troupes, je remets mon épée aux mains de votre Majesté. Je suis de votre Majesté le bon frère, Napoléon ».  Je venais de lire d’effrayants récits de guerre, destinés à réchauffer la haine du Prussien et la passion de la vengeance. Cette lettre d’un empereur à un roi m’éclaira subitement ; car pourquoi notre empereur se rendait-t-il au chef des brigands, en l’appelant « son bon frère » ? Cela ne pouvait être qu’une ruse. L’empereur,  en présence du roi, allait sans doute se jeter sur son ennemi, pour l’étrangler ou pour l’aveugler ? Mais non. Nulle trace de haine ni de colère. C’était bon pour les soldats. Le roi de Prusse était le bon frère de l’empereur des Français, mais le soldat allemand n’était pas le bon frère du soldat français ?  Je n’allais pas plus loin, étant incapable de démêler les causes et les effets des passions guerrières, et les ressorts du pouvoir. Mais qu’aurais-je pensé si j’avais su que les Français avaient déclaré la guerre et avaient pénétré les premiers en territoire ennemi. Bien mieux que la guerre était le résultat de la politique même de l’Empereur, et non des passions de ses soldats ?  

L’idée de la guerre se transformera. Ce sera non plus du tout un jeu des grands, mais un mouvement de défense, un immense manœuvre de police, sans aucune amitié pour l’ennemi, sans égards, avec la seule pensée de lui nuire sans fin, jusqu’à ce qu’il retourne chez lui. On ne comprendra plus ces traités de paix qui marquent la fin d’une partie et le commencement de la revanche. Le peuple pacifique et juste ne posera jamais les armes tant que le territoire ne sera pas nettoyé. Ou bien il faudra tuer tous les hommes valides et cette idée mettra fin au jeu de la guerre. Alain »

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C’est à compter de 1906 qu’Alain mit au point un genre littéraire au style concis et aux formules frappantes, les « Propos ». Ces courts articles, inspirés par l’actualité et les événements de la vie de tous les jours, couvrirent presque tous les domaines.

Nombre des « Propos » du philosophe parurent dans la revue Libres Propos (1921-1924 et 1927-1935) fondée par un disciple d’Alain, Michel Alexandre.

 

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